Régions

La révolution tranquille de la régionalisation

Tout est allé très vite : G. Defferre est nommé, en mai 1981, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation ; à la mi-juillet, le Conseil des ministres approuve le projet de loi Droits et libertés des communes, départements et régions ; 10 jours plus tard, le débat commence à l'Assemblée nationale, en session extraordinaire ; le 28 octobre, c'est au tour des sénateurs — experts en la matière pour avoir planché sur le sujet des mois entiers sous l'ancien septennat — de s'emparer du sujet. Trois mois plus tard, la loi est approuvée par l'Assemblée nationale et le président de la République la promulgue, le 3 mars 1982. Les neuf sages du Conseil constitutionnel, saisis par l'opposition, avaient demandé, une semaine auparavant, au gouvernement de reprendre quelques articles concernant les modalités du contrôle, par le préfet, des délibérations du maire ou du président du conseil régional ou général.

La célérité que le gouvernement a mise dans cette affaire s'explique par la nécessité de prendre par surprise la haute administration, par nature réticente à déléguer et à redistribuer ses pouvoirs. Cette révolution tranquille, pierre angulaire du programme socialiste — avec les nationalisations —, ne manquera pas d'avoir un impact considérable, non seulement sur l'organisation territoriale du pays, mais aussi sur la vie quotidienne et sur les mœurs. Le pari des pouvoirs publics repose sur le fait que la décentralisation et la renaissance des diversités de la France ne comportent pas de risques pour l'unité nationale, mais ouvrent, au contraire, des chances à la culture, au cadre de vie, au respect des identités locales. Plus encore, il s'agit d'administrer la preuve que, par la décongestion d'un État malade d'anémie graisseuse, comme a pu le dire Jacques Delors, les Français seront mieux armés pour affronter et résoudre les problèmes de l'emploi. À condition, et Michel Rocard ne manque pas une occasion de le clamer haut et fort, que la solidarité nationale s'exprime par la péréquation et la planification, au profit des régions ou des villes moins flattées que d'autres par l'histoire ou moins bien servies par I expansion économique.

La première pierre de l'édifice

Promulguée le 3 mars 1982 (bien que six articles ou parties d'articles soient à réviser en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel) la loi, intitulée Droits et libertés des communes, départements et régions, doit être considérée comme une loi-cadre qui pose les principes de base de la décentralisation des institutions.

Composée de 108 articles, la loi introduit une disposition essentielle qui sert de trame à toute la philosophie nouvelle de la décentralisation. Désormais, le pouvoir exécutif est transféré du préfet au maire, au président du conseil général et au président du conseil régional. Ce seront les élus qui prépareront et exécuteront, notamment, le budget. Toute forme de tutelle a priori sur les actes et délibérations des collectivités locales est supprimée. Toutefois — et c'est un point sur lequel le Conseil constitutionnel a été appelé à trancher — le représentant de l'État, garant du respect des lois, pourra être informé des actes des collectivités et, s'il les estime illégaux, les déférer devant le tribunal administratif.

Bref, à un contrôle administratif a priori se substitue un contrôle juridictionnel a posteriori.

Deuxième principe essentiel : même si l'État continue d'avoir la responsabilité de la conduite de la politique économique et sociale et de la défense de l'emploi, les communes, départements et régions pourront beaucoup plus largement qu'auparavant intervenir en matière économique et sociale. Un exemple : lorsque la protection des intérêts économiques et sociaux de la population communale l'exige, la commune peut accorder des aides directes et indirectes à des entreprises en difficulté pour la mise en œuvre de mesures de redressement prévues par une convention passée avec celles-ci.