Architecture

La querelle des modernes et des post-modernes

Le débat sur la modernité gagne la France, après les États-Unis et l'Italie, patries des grands architectes. Pour la première fois depuis soixante ans, depuis la charte d'Athènes de Le Corbusier, le public français découvre une alternative à l'architecture dite moderne, fonctionnaliste ou encore de style international.

Pamphlets et expositions, qui se sont succédé de l'automne 1981 au début du printemps 1982, ont en quelque sorte vulgarisé les nouvelles théories post-modernes, tandis que, sur le terrain, les premières réalisations, suivies de nouveaux chantiers, s'édifiaient, illustrations de leurs partis pris résolument critiques à l'égard des modernes.

Le grand prix d'architecture

Le grand prix d'architecture pour 1981 est remis, le 17 février 1982, à l'Atelier de Montrouge, par Roger Quilliot, ministre de l'Urbanisme et du Logement, et tuteur officiel des architectes. Trois d'entre eux, Pierre Riboulet (54 ans), Roger Thurnauer (56 ans), et Jean-Louis Véret (55 ans), sont ainsi récompensés pour une œuvre collective, édifiée de 1958 à 1979 (avec le concours, jusqu'en 1968, de Jean Renaudie, décédé l'an dernier). Parmi leurs réalisations, typiques de l'avant-garde des années 60 avec ses préoccupations sociologiques, géographiques, et économiques, on retiendra la maison du peintre Messagier, construite en 1958 à Colombier-Fontaine (Doubs), un village de vacances au cap Camarat (Var) et l'immeuble EDF d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Plus remarquée encore, visitée par plus de 3 000 architectes, la bibliothèque pour enfants de Clamart (Hauts-de-Seine), construite en 1965. L'édifice se compose d'une série de volumes cylindriques, imbriqués et insérés dans une cour ronde, les lignes courbes venant adoucir la rudesse du béton brut. Le centre culturel et éducatif d'Istres (Bouches-du-Rhône) construit, lui, quelques années plus tard, répond avec méthode à un programme complexe d'équipements intégrés. Ainsi, au moment où le débat sur la modernité agite l'architecture française, c'est une œuvre résolument moderne qui est officiellement distinguée.

Impersonnelle

Au rationalisme de ces derniers, les post-modernes opposent l'esthétisme ; c'est l'an pour l'art d'abord, plutôt que la technique pour la technique. Au souci de la structure de l'édifice, ils préfèrent la recherche du jeu des façades. Au modernisme intransigeant, ils substituent volontiers la rétromanie systématique ou allusive. Pour mesurer le changement d'approche et mieux saisir le projet post-moderne, rappelons les postulats des adeptes du fonctionnalisme.

Les tenants de l'école allemande du Bauhauss, Gropius et Mies Van der Rohe, de même que Le Corbusier et ses disciples français, définissent avant toute chose un parti d'urbanisme. Il s'agit donc d'introduire logique et clarté dans les méandres de la ville, et de faire régner dans la cité idéale le soleil, la verdure et les espaces dégagés.

En vertu du principe « chaque chose à sa place », ils adoptent par ailleurs le zoning, spécialisation de la ville en zones bien délimitées : habitat, bureaux, commerces, circulation, loisirs, etc. Conséquence de ces choix, la rue et les quartiers multifonctionnels traditionnels, avec leur animation, disparaissent.

Cette conception de l'architecture répond cette fois à l'adage « la fonction engendre la forme ». Elle crée du même coup, présuppose-t-on, le beau, qui est une résultante et non l'objectif premier ; un beau par ailleurs austère, abstrait, voire brutaliste, revendiqué par certains. Dernier credo des modernes, celui des ingénieurs-rois : la croyance dans le progrès technique et les bienfaits de la standardisation.

C'est là, à l'origine, un message fort, optimiste et généreux, qui dégénère vite en tours, barres et autres mises en équations de la vie citadine. Pour le grand public peu informé, l'architecture moderne se confond alors avec les grands ensembles. Cette architecture, qui se voulait universelle, se fait le plus souvent platement impersonnelle.

Espace urbain

Changement de décor complet avec les post-modernes. Avec eux, c'est bien de décor qu'il s'agit d'abord. Les nouvelles préoccupations qui se manifestent, ici et là, sont : retour aux Beaux-arts, au dessin, à l'art.