La première dévaluation du franc, intervenue en octobre 1981, résultait déjà de l'accumulation de plusieurs phénomènes, dont certains déjà anciens (comme la perte de compétitivité des produits français à l'exportation due aux différences d'évolution des salaires et des prix). Ainsi, l'avance prise lors de la création du SME entre l'Allemagne et la France avait entièrement disparu en 1980. En mai 1981, on estimait déjà nécessaire un réajustement des parités monétaires d'au moins 4 % entre les deux monnaies, la différence ayant été masquée jusqu'alors par des fuites de capitaux d'Allemagne fédérale vers les États-Unis (taux d'intérêt et événements de Pologne).

Le changement de gouvernement en France, la fuite des capitaux qu'il provoque (53,6 milliards de F pour les six premiers mois de 1981), la détérioration du commerce extérieur, le doublement du déficit budgétaire et l'annonce d'un déficit de 100 milliards pour 1982, en même temps que la suppression de l'anonymat sur les transactions sur l'or entraînent une nouvelle vague de spéculation qui conduit les autorités à procéder à un réaménagement des parités au sein du système monétaire européen, les Allemands faisant le plus gros de l'effort.

Mais les mesures d'accompagnement prises alors (blocage temporaire des prix et concertation sur les salaires avec les partenaires sociaux) se révèlent bien vite insuffisantes. L'alourdissement des charges sociales et de la fiscalité pèse sur les prix, tandis que les gains de productivité induits par une croissance moins rapide que prévu se révèlent insuffisants. La différence de taux d'inflation avec nos principaux partenaires commerciaux se creuse de mois en mois : 4 % à l'automne 1981, 5 % en décembre, 6 % au printemps 1982. Pour le premier semestre 1982, on prévoit un rythme annuel de hausse de prix de 12,5 % en France, contre 9,5 % en Grande-Bretagne et 3 % en Allemagne fédérale. Le déficit commercial augmente régulièrement sur un rythme mensuel de 6 à 7 milliards de F.

Dans ce contexte, la décision du président de la République de réduire la durée hebdomadaire du travail de 40 à 39 heures sans compensation de salaires fait l'effet d'une bombe. En février-mars, la spéculation se déchaîne de nouveau, faisant perdre à la France une vingtaine de milliards de F en devises. Des mesures sont prises pour enrayer le mouvement. On espère tenir au-delà du sommet de Versailles qui doit se tenir la première semaine de juin.

Ce sera fait. Mais, le 10 juin, le gouverneur de la Banque de France informe son ministre de tutelle qu'il lui reste quelques jours d'importations en caisse et qu'au-delà il faudra faire jouer les mécanismes communautaires avec leurs conséquences politiques.

En catastrophe, nouveau réaménagement des parités décidé à Bruxelles le 12 juin. En un an, le prix officiel du mark sera passé de 2,3955 F à 2,8399 F. Situation analogue vis-à-vis du florin.

Dévaluation insuffisante pour combler l'écart de compétitivité, estiment les chefs d'entreprise. On a pris une marge de 2 à 3 %, estime le gouvernement. Tout dépendra en fait de la réussite du second plan d'accompagnement mis en place cette fois par l'équipe Mauroy : contrôle des prix et des revenus, réduction des dépenses sociales, blocage du déficit budgétaire à 3 % du PNB à fiscalité constante.

L'enjeu est de taille. Un troisième dérapage entraînerait l'abandon de la contrainte du Système monétaire européen et la dérive constante du franc. La dévaluation du mois de juin 1982 pourrait être en quelque sorte celle de la dernière chance.