Décrié par les Premiers ministres des provinces, qui craignent une érosion dangereuse de leur droit de regard sur les destinées du pays, de même qu'une atteinte sérieuse à leur souveraineté, le coup de force de Trudeau, tel qu'il sera rapidement baptisé par ses détracteurs, suscite un affrontement virulent entre son auteur et ses homologues provinciaux.

Au Québec même, un mouvement spontané prend naissance, Solidarité-Québec, qui recueille plus de 400 000 signatures à une pétition condamnant les visées d'Ottawa. À mesure que le projet prend forme, la protestation s'organise à l'échelle nationale.

Si très peu d'hommes politiques s'élèvent contre l'idée d'abolir un symbole impérialiste désuet, en revanche, les Premiers ministres provinciaux condamnent dans l'ensemble les intentions de P. E. Trudeau de joindre au rapatriement des modifications à la Constitution, diminuant le pouvoir de légiférer des provinces dans des domaines qui leur étaient reconnus jusque-là.

Au printemps 1981, huit provinces — la bande des huit — s'étaient concertées (Journal de l'année 1980-81). Elles menaçaient sérieusement les espoirs du Premier ministre canadien, qui souhaitait proclamer la souveraineté du pays le 1er juillet, fête nationale. Seules, les provinces de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick se rangeaient du côté du gouvernement fédéral.

Verdict

Les procureurs des provinces contestataires et du gouvernement fédéral s'étaient adressés en avril 1981 à la Cour suprême, le plus haut tribunal du pays, afin qu'il tranche la question de la légalité du rapatriement unilatéral par le gouvernement canadien. Le 28 septembre, dans un climat d'anxiété peu commun, les neuf magistrats de la Cour suprême statuent que le projet du Premier ministre Trudeau est légal, mais qu'il enfreint des conventions constitutionnelles non écrites selon lesquelles l'unanimité des dix provinces canadiennes est nécessaire afin de procéder à un rapatriement constitutionnel. Chacune des parties crie victoire. Le gouvernement fédéral décide d'agir, fort d'un tel jugement.

L'Assemblée nationale du Québec, convoquée en session d'urgence, adopte, le 30 septembre 1981, une motion dénonçant l'illégalité du projet Trudeau. Pour la première fois d'accord sur une question de doctrine, l'opposition libérale, dirigée par Claude Ryan, et le gouvernement péquiste de René Lévesque dînent à la même table. Ailleurs, dans le pays, des gestes similaires se multiplient.

De part et d'autre, des campagnes publicitaires tentent d'accaparer l'opinion publique, qui n'a jamais été aussi au fait des questions constitutionnelles. À telle enseigne que nombreux sont ceux qui, fatigués par tout ce jargon de polémistes, souhaitent plutôt une reprise en main de l'économie, dont les soubresauts se font durement ressentir dans tous les secteurs d'activité.

Volte-face

Fin octobre 1981, les huit provinces opposées au projet Trudeau répliquent. Réunis à Montréal, les Premiers ministres provinciaux proposent à Ottawa une rencontre afin de sortir de l'impasse. Malgré un jugement attestant la légalité de ses visées, P. E. Trudeau, conscient de l'impopularité d'une action entreprise sans le concours des provinces, accepte la tenue d'une conférence de la dernière chance sur la Constitution.

La conférence a lieu le 5 novembre à Ottawa. Et l'incroyable se produit. Une volte-face des provinces anglophones sonne le glas de la contestation. En l'espace d'une nuit de lobbying, le Québec se retrouve isolé par une entente entre les neuf autres provinces et le gouvernement fédéral.

Deux semaines plus tard, le projet de résolution constitutionnelle est déposé à la Chambre des communes. La résolution est adoptée le 2 décembre, lors d'un vote historique au cours duquel 24 députés seulement enregistrent leur opposition. Sept jours plus tard, au Sénat, le vote sera un peu plus serré : 59 pour, 23 contre.

À partir de ce moment, toute tentative du gouvernement québécois de René Lévesque d'opposer un veto paraît dérisoire. Pour les nationalistes québécois, le cachet est amer. Pendant que certains mouvements publient dans les médias la liste des députés fédéraux qui ont appuyé le projet Trudeau, les qualifiant de traîtres, les délégations se succèdent à Londres, où les Amérindiens, entre autres, tentent en vain une démarche pour empêcher le rapatriement de la Constitution.