Le monde, en tout cas, mesure alors le vide spirituel que provoquerait la mort de Jean-Paul II. Bien sûr, les affaires courantes du Vatican continuent d'être expédiées, durant son indisponibilité, sous la direction du secrétaire d'État, Mgr Agostino Casaroli — et, d'ailleurs, Jean-Paul II ne s'est jamais beaucoup intéressé à la direction quotidienne du Vatican.

Mais c'est l'influence morale du pape, son impact comme on dit aujourd'hui, qui apparaît alors plus nettement. On songe surtout, évidemment, à la Pologne, engagée dans une révolution dont il est le véritable chef, en même temps que le garant et le recours. Pour la Révolution polonaise (et donc pour l'équilibre du monde), tout serait à craindre si elle perdait le pape. « Ils ont tiré sur la Pologne », dit Mme Walesa en apprenant le drame. Et c'est le sentiment dominant.

Catholiques

« Mes voyages-pèlerinages sont essentiels à ma mission » affirme le pape

Il y a dans le monde quelque 750 millions de catholiques — dont 416 000 prêtres et près d'un million de religieuses — selon le dernier Annuaire des statistiques de l'Église publié par le Vatican. Jean-Paul II semble s'être promis, depuis son élection en 1978, de rendre visite dès que possible au plus grand nombre d'entre eux. Il ne cesse donc de parcourir la planète, observant dans chacun de ses voyages des programmes démesurés et épuisants : si bien qu'au terme de son périple en Asie tous les observateurs jugeront le pape vieilli et très fatigué.

Mais, à plusieurs reprises, il explique que ces « voyages-pèlerinages » — l'expression est de lui — constituent une part essentielle de sa mission : ils manifestent l'importance de chaque Église locale (on retrouve ici l'accent mis par Jean-Paul II sur la collégialité) ; ils sont des occasions de « catéchèse itinérante », c'est-à-dire de formation doctrinale et spirituelle des prêtres et des fidèles ; enfin, ils donnent la possibilité de traiter « avec les responsables », c'est-à-dire les autorités civiles, du sort des peuples. Ces voyages présentent un intérêt supplémentaire : chacun d'eux permet de mieux connaître ce pape si populaire, mais toujours un peu mystérieux.

Collégialité

Ainsi la tournée au Brésil, du 30 juin au 11 juillet 1980, ne montre pas seulement un pontife en accord profond avec des masses pour qui la religion est d'abord une fête. Par ses prolongements, elle met en évidence deux des orientations fondamentales du pape.

D'abord sur le rôle de l'Église. Dans une lettre adressée, le 10 décembre, à tous les évêques brésiliens pour tirer les leçons de ce voyage, le pape écrit : « L'Église perdrait son identité la plus profonde (...) si la légitime attention aux questions sociales l'écartait de cette mission essentiellement religieuse qui n'est pas primordialement la construction d'un monde matériel parfait, mais l'édification du Royaume... »

Deuxième orientation : c'est à chaque épiscopat, on dirait presque à chaque évêque, d'adapter son action aux données locales. Aucun pape peut-être — même Paul VI — n'avait manifesté un tel souci de la collégialité. Ainsi, lorsque l'hebdomadaire polonais Tygodnik Powszechny interroge, le 2 août, Jean-Paul II sur les tensions qui existent entre les évêques brésiliens, il répond : « Personnellement, je considérerais moins les divergences que la diversité qui naît des circonstances (...). Ces pasteurs agissent dans des conditions extrêmement dissemblables, et il est évident qu'ils doivent de quelque manière être différents entre eux. C'est pourquoi j'estime que l'épiscopat brésilien ne saurait être que pluraliste en raison même du pluralisme brésilien. » De tels propos sont évidemment très éloignés de l'esprit centralisateur habituel du Vatican.

Après le Brésil, Jean-Paul II se rend en Allemagne fédérale ; un voyage qui commence à Cologne le 15 novembre et se termine à Munich le 19. Mais c'est le périple en Extrême-Orient, du 16 au 26 février 1981, qui retient surtout l'attention. Au cours de cette tournée de 40 000 km, qui l'emmène au Pakistan, aux Philippines, dans l'île de Guam, au Japon et en Alaska, Jean-Paul II bat le record de Paul VI, qui avait accumulé quelque 130 000 km en neuf déplacements à l'étranger.