Dans la rue, cette violence s'exprime souvent contre les policiers. À Strasbourg, après un vol dans un supermarché, le policier qui vient enquêter est agressé par une dizaine de jeunes. À Stains, un suspect s'empare d'un revolver et abat l'inspecteur qui venait l'interroger. Il avait peur. Peur justifiée et entretenue par les bavures. Curieux témoins d'un accrochage bastonnés place de la Concorde, à Paris ; conducteur pris pour un voleur de voitures et blessé, sans sommation, d'une balle de Magnum 357 à Étampes ; étudiant bohème tabassé dans un terrain vague par des CRS de Grenoble auxquels « la tête de ce type ne revenait pas », on pourrait multiplier les exemples.

La police paie pourtant un lourd tribut à la lutte contre le crime. Une fusillade en plein Paris, rue Monge, fait 3 morts le 6 décembre : un des gangsters pris en chasse et deux policiers. La veille, deux convoyeurs de fonds avaient été abattus à Levallois par les gangsters venus s'emparer de leurs sacoches. « Ce n'est pas un hold-up mais un assassinat » commentera le commissaire Devos, dont les hommes arrêteront le propriétaire des armes qui ont tué : un amateur, le P-DG d'une petite entreprise en faillite.

De sang-froid

Le sommet de la violence est atteint quelques semaines plus tard dans le Midi. Le 22 décembre, trois jeunes caissières du supermarché Mammouth de Béziers comptent la recette que leur apporte leur collègue dans un bureau attenant à la salle des coffres. Un homme les rejoint, s'empare des billets, puis, froidement, les abat une à une d'une balle dans la nuque. Il s'enfuit avec 400 000 F. L'enquête piétine, quand, le 18 janvier 1980, trois autres personnes sont tuées dans la région. Ce jour-là, Jacques Coutrix est chez lui, dans sa villa de Carqueiranne, avec sa fille Sandrine. Il se dispute avec un visiteur, à tel point que Sandrine prend peur et téléphone à sa mère : « Le monsieur veut nous tuer. Papa se dispute avec le cousin de René. » Madame Coutrix, inquiète, demande à un voisin d'aller voir ce qui se passe. Gilles Le Goff entre dans la villa, puis sa femme entend trois coups de feu. Quand les policiers arrivent, ils trouvent les corps de Jacques Coutrix et de son voisin Gilles Le Goff ainsi que celui de la petite Sandrine, tués d'une balle en pleine tête.

Ils finissent par arrêter Joseph-Thomas Recco, un parent éloigné des Coutrix. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1963 pour le meurtre — de sang-froid encore une fois — d'un garde-pêche de Propriano, Recco a été libéré sous conditions en 1977. Il finit par reconnaître le triple meurtre de Carqueiranne, mais nie farouchement toute participation à l'affaire de Béziers. C'est pourtant la même arme qui a tué, et Recco est formellement reconnu par un juge d'instruction en retraite qui l'a aperçu au supermarché le jour du crime.

L'affaire de Broglie se complique encore

21 mars 1980 : après trois ans et trois mois d'enquête, l'instruction sur le meurtre du prince Jean de Broglie, en décembre 1976 (Journal de l'année 1976-77), est close. Le dossier est transmis à la chambre d'accusation. On attend le procès des quatre inculpés — il y a trois non-lieux — pour la fin de l'année 1980.

Huit jours plus tard, les jeux ne sont plus faits. L'hebdomadaire le Canard enchaîné publie deux documents « qui manquent, précise-t-il, dans le dossier de l'instruction ». Il s'agit de deux notes signées d'inspecteurs de la 10e brigade territoriale et adressées à leur supérieur hiérarchique. Dans la première, datée d'avril 1976, les policiers affirment qu'un trafic de faux bons du Trésor va bientôt commencer. En septembre, ils réitèrent leur affirmation et la précisent : les commanditaires de cette opération sont le propriétaire de grands restaurants parisiens et un homme politique.

Mais, ajoutent-ils, « cet homme politique s'est rendu coupable d'indélicatesses dans une précédente affaire et doit être abattu avant le démarrage de ce trafic ». À la main, ils ajoutent des noms : Pierre de Varga et, surtout, Jean de Broglie.

Mise en accusation

La famille du prince de Broglie réagit la première à ces révélations du Canard enchaîné : elle demande qu'on procède à un supplément d'enquête sur l'assassinat du prince-député.