Pour résoudre cette crise, les dirigeants s'orientent vers l'exploitation accélérée des ressources nationales : le pétrole du Banat, de Dalmatie ou du Monténégro, mais surtout le charbon. Des réserves évaluées à 20 milliards de t, des gisements assez fréquemment exploitables à ciel ouvert, donc bon marché, représentent un grand atout pour l'avenir. De nombreuses centrales thermiques sont mises en chantier en Bosnie et en Serbie. Le nucléaire est également appelé à la rescousse avec l'édification d'une grande centrale à la lisière de la Slovénie et de la Croatie. Des ouvrages hydrauliques sont aussi en chantier, notamment la grande centrale construite avec les Roumains dans les Portes de Fer sur le Danube.

Inflation

Un autre grand danger de l'économie yougoslave réside dans la surchauffe. Les entreprises autogestionnaires ont abusé des crédits. Désormais, les banques se voient interdire de consentir des prêts qui ne sont pas garantis immédiatement par des investissements. Les salaires ont parallèlement augmenté sans référence à la productivité. Pour réprimer ce phénomène qui crée une surconsommation artificielle, le gouvernement a décidé que les salariés rendraient le trop-perçu. Il est de fait que l'inflation est galopante ; elle avoisine 30 %. Depuis la mi-1979, les prix, malgré le gel de certains tarifs, n'ont cessé de déraper. Des entreprises ont augmenté le prix de leurs produits de manière préventive. Ainsi, en août 1979, l'installation d'un poste téléphonique passe de 926 à 3 000 dinars.

Le même été, la farine augmente de 20 %, le pain de 10, les cigarettes et l'essence de 30. Le café et les voitures suivent le même chemin en 1980. Pour la première fois dans l'histoire de la Yougoslavie, la présidence collégiale doit imposer un plan de redressement pour l'année. Mais la Fédération, les six républiques et les deux territoires autonomes n'arrivent pas à s'entendre sur les sacrifices à consentir. Certains produits comme l'huile, le sucre ou les détergents disparaissent des magasins. En juin, le gouvernement décide une dévaluation de 30 %, espérant ramener à la fin de l'année le déficit de la balance commerciale de 4,5 % milliards de dollars à 2 milliards.

Orphelin

C'est sur cette toile de fond préoccupante que la Yougoslavie apprend, le 4 mai, ce qu'elle redoutait depuis des semaines : la mort de Tito. C'est un colosse de l'histoire qui disparaît. Josip Broz, après avoir soulevé son pays contre les nazis, résisté à Staline, rassemblé une mosaïque de peuples et s'être montré l'inlassable champion du non-alignement, est devenu, en trente-cinq ans de pouvoir, l'âme même de la Yougoslavie. Aussi, le monde entier vient-il s'incliner devant sa dépouille, le 8 mai 1980, se demandant si son œuvre résistera au plus grand ennemi des nations : le temps.

Les images de ses funérailles, par les présences ou les absences de tel ou tel, sont comme un résumé de la politique du maréchal. Pas de Fidel Castro resté à La Havane alors qu'en septembre 1979 Tito, malgré ses 87 ans, allait y défendre, contre son hôte, le véritable non-alignement, libéré de toute attache au Kremlin.

Or, justement, le Kremlin est là, avec Brejnev accompagné d'une forte délégation. Les dirigeants communistes des autres pays de l'Est sont également présents. Cette imposante représentation pour rappeler avant tout à Hua Guofeng, aux Occidentaux, aux Yougoslaves eux-mêmes que jamais l'URSS ne laissera ce pays fraîchement orphelin, qui commerce un peu trop avec la CEE (accord préférentiel conclu avec Belgrade le 25 février), basculer dans le camp adverse.

Mais Tito, le prévoyant, a mis en place à l'automne des directions collégiales à tous les niveaux, des systèmes autogestionnaires qui doivent sinon unifier le pays, tout au moins l'empêcher d'éclater. Du reste, si la Bulgarie a des prétentions macédoniennes, la Roumanie est particulièrement amicale, et l'Albanie elle-même, qui a boudé pendant trente ans le révisionniste Tito, conclut à l'automne des accords commerciaux qui semblent signifier le début d'une période nouvelle.

Rempart

Malgré une réduction du budget militaire, l'armée, avec ses 3 millions de combattants et sa modernisation toute récente, menée comme une course contre la montre durant l'actuel plan quinquennal, reste le rempart principal du pays. Elle peut raisonnablement faire hésiter tout envahisseur. Mais c'est sans doute sur le plan économique que la Yougoslavie est la plus vulnérable à l'URSS. Le bloc de l'Est absorbe 42 % de ses exportations, en même temps qu'il lui fournit 30 % de ses importations. Un accord commercial avec Moscou, conclu en septembre 1979, porte à 20 milliards de dollars la coopération. Ce sont ces liens, inévitables pour la Yougoslavie d'après Tito, qui constituent son talon d'Achille.