Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Marché commun

Les avatars de l'Europe verte

L'année 1977-1978 aura été, pour la Communauté européenne, celle de la déception en matière économique et de la crise en matière agricole. Déception pour l'économie, car aucune reprise des affaires n'a eu lieu. Les objectifs fixés dans ce domaine n'ont pas été atteints. Le chômage est resté à un niveau élevé. La Commission de Bruxelles n'a pas pu convaincre les pays membres de prendre des mesures de stimulation supplémentaires. Les Allemands, qui avaient jugulé leur inflation (avec une hausse des prix inférieure à 4 % par an) et qui continuaient d'avoir un fort excédent commercial, n'ont pris que des mesures de relance limitées, dans la crainte de retomber dans l'inflation En outre, les pressions exercées sur les monnaies ne faisaient que rendre plus difficiles toutes mesures de relance.

Crise

Ce sont précisément ces pressions monétaires qui ont été à l'origine de la crise agricole. Celle-ci a atteint son moment le plus grave au printemps 1978. Peu avant les élections de mars, l'étranger spécule contre le franc. Celui-ci baisse. Il faut en tirer les conséquences pour le fonctionnement de l'Europe verte. La règle est qu'il existe des prix agricoles uniques à l'intérieur du Marché commun. Si une monnaie baisse, le franc en l'occurrence, les prix agricoles exprimés en francs décrochent du niveau commun européen. Pour rétablir l'unicité des prix, par-dessus les frontières, et assurer le jeu normal des échanges, il faut recourir à un artifice que l'on appelle le montant compensatoire monétaire (MCM). On compense la baisse du franc en taxant d'autant les produits agricoles français lorsqu'ils sont vendus à d'autres pays ; de même les produits agricoles importés des pays voisins sont subventionnés d'autant à leur entrée en France. Cet ajustement se fait chaque semaine à Bruxelles par la Commission des communautés européennes, compte tenu de l'évolution des monnaies au cours de la semaine écoulée.

Stratégie

Le vendredi 3 mars, la Commission constate qu'il faut augmenter de 1,5 % les montants compensatoires applicables aux frontières françaises. Déjà établis à un niveau élevé (21,5 %), il faut les porter à 23 %. Coup de théâtre : Paris refuse. Paris argue du fait que les agriculteurs français n'ont pas à subir les conséquences de phénomènes — la baisse du franc liée à des spéculations politiques — dont ils ne sont pas responsables. Quoi qu'il en soit, la France se place ainsi en position d'infraction.

Pour en sortir, la France accepte, le 7 mars, de valuer son franc vert de 1,5 %, ce qui signifie que les prix agricoles exprimés en francs sont augmentés d'autant. Inutile alors de relever les montants compensatoires. La France n'est plus en état d'infraction ; les agriculteurs enregistrent du même coup une hausse, imprévue, du prix de leurs produits, à quelques jours des élections : les voici bénéficiaires d'une opération dont ils risquaient d'être les victimes. La contrepartie, c'est une hausse des prix alimentaires pour les consommateurs français.

Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre donnent l'assurance aux dirigeants paysans, avant les élections, que la France supprimera en trois ans les montants compensatoires. Ce qui est un objectif ambitieux, vu le niveau élevé qu'ils ont atteint. Pour pouvoir toucher cet objectif, il faut que la politique économique générale pousse au redressement du franc et que les dévaluations du franc vert permettent d'effacer les montants compensatoires accumulés au fil des ans. Déjà une dévaluation du franc vert de 2,5 % a été appliquée le 1er février 1978, suivie, le 8 mars, par la dévaluation de 1,5 % que nous venons d'évoquer, et d'une troisième dévaluation de 2,6 % le 12 mai, au moment de la fixation des prix de la campagne 1978-79. Ainsi, en moins de 4 mois, grâce à ces dévaluations du franc vert et à la remontée du franc, les taux des MCM qui auraient dû atteindre 23 % sont ramenés à 10,2 %. Plus du tiers du chemin a été accompli sur la voie de leur suppression complète.

Concurrence

Étant exportatrice nette de produits agricoles, la France est particulièrement pénalisée par le jeu des montants compensatoires : les MCM qui frappent ses exportations sont plus élevés que les MCM qui subventionnent ses importations de produits agricoles. Elle est donc gênée dans son effort de ventes à l'étranger alors que son agriculture devrait être une grande pourvoyeuse de devises. C'est son « pétrole » à elle.