Social

Du blocage à l'ouverture prudente et limitée

La défaite de la gauche marque assurément un changement profond dans la vie sociale. Avant le scrutin, le gouvernement se refuse à toute promesse, adopte une attitude rigide (exemple d'EDF, la seule du secteur nationalisé à tenter l'épreuve de force en décembre 1977) et refuse de discuter la suggestion de FO pour une 5e semaine de congés payés. Dans le secteur privé, le patronat s'enferme dans le mutisme.

Puis, brusquement, après le second tour du 19 mars 1978, en quelques jours, la situation se dégèle. Les rencontres se multiplient entre syndicats, pouvoirs publics et patronat. Des projets de loi sont préparés, des négociations s'engagent. Bref les contraintes économiques semblent, un instant, oubliées. Mais, au-delà du changement de style, les rapports sociaux évoluent-ils réellement ?

Lettres mortes

Certaines données, cependant, demeurent ; la crise persiste. Tous les experts prévoient pour l'automne 1978 une recrudescence du chômage et de l'inflation ; les grandes réformes annoncées (l'entreprise, la réduction des inégalités, la revalorisation du travail manuel) sont restées lettres mortes ; d'autre part, si CGT et CFDT adoptent des stratégies divergentes, les dirigeants savent que l'unité d'action est la seule voie étroite qui leur est offerte pour faire aboutir leurs revendications.

À la veille des vacances, gouvernement, patronat et syndicats, conscients des limites de cette ouverture post-électorale, s'interrogent. Le mythe d'un automne chaud n'est pas écarté par certains.

Les élections législatives ne sont pas le seul facteur de cette situation complexe. Trois fils conducteurs s'y mêlent étroitement :
– Celui de l'action revendicative, elle-même sensible aux initiatives de la base préoccupée par l'emploi et le blocage des salaires ;
– Celui des stratégies politiques des organisations syndicales ;
– Celui enfin du déblocage des négociations, provoqué conjointement par le désir d'ouverture du président de la République et par la nouvelle stratégie de la CFDT dès janvier 1978.

L'action revendicative

Les chantiers Dubigeon (en octobre) pour le secteur privé, la grève d'EDF (en décembre), pour le secteur nationalisé : ces deux échecs de l'action revendicative symbolisent l'impasse des relations sociales avant le mois de mars. Dans les deux cas, le front commun CGT-CFDT se fissure ; chez Dubigeon, des interférences politiques s'ajoutent à des analyses visiblement différentes sur la stratégie des luttes ; à EDF-GDF, au-delà d'une grève controversée, violemment critiquée par les chefs d'entreprise — certains porteront plainte contre les syndicats mais seront déboutés —, les délestages tournants révèlent une CFDT plus jusqu'au-boutiste et une CGT plus modérée, hésitante à franchir le seuil de l'impopularité.

Dans les deux cas également, le gouvernement, grand maître d'oeuvre de la politique salariale, incite à ne pas céder sur les revendications destinées à faire sauter les contraintes du plan Barre.

Tour de force

Contraindre les syndicats à la défensive, c'est le tour de force d'un Premier ministre qui tient bon sur deux grands axes : les salaires et le chômage. R. Barre répète qu'il ne cédera pas, que l'heure est celle de la rigueur en matière de salaires pour éviter demain les sacrifices. Le résultat de cette attitude est de ne consentir qu'une des plus faibles progressions de pouvoir d'achat depuis dix ans.

Les smicards, les personnes âgées, les familles et les travailleurs manuels demeurent un peu moins défavorisés, grâce à de petits coups de pouce.

Si Raymond Barre jette parfois du lest, c'est d'une façon fort limitée. Laissant à André Bergeron tout le profit de la décision de relance, en juillet 1977, des négociations salariales dans le secteur public, il impose l'abandon du caractère d'automaticité des hausses de pouvoir d'achat.

Raymond Barre transige également avec la CGC, qui passe progressivement d'une hostilité non camouflée vis-à-vis de son plan de lutte contre l'inflation à une résignation conditionnelle. Au centre d'une gigantesque opération de séduction politique venant de tous les azimuts, les cadres ne pouvaient manquer d'être courtisés par la majorité actuelle. La CGC obtient ainsi le non-déplafonnement des cotisations sociales au 1er janvier 1978 et la mise en place de la concertation dans les entreprises : elle est cependant loin d'avoir trouvé avec R. Barre la compréhension qui s'était instaurée avec Jacques Chirac.