Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Marché commun

Les Neuf semblent essoufflés

Quel contraste ! Alors qu'une nouvelle Amérique reprend confiance en elle-même et dans sa mission dans le monde, derrière Jimmy Carter, le purificateur, voici que la vieille Europe paraît s'interroger au moment de franchir des pas décisifs. Sollicitée de s'élargir, elle ne se sent pas assez sûre d'elle-même pour accueillir de nouveaux membres, qui frappent pourtant avec insistance à sa porte. Elle espère un renforcement de cohésion interne en se dirigeant vers l'élection au suffrage universel direct de l'Assemblée européenne. Mais la préparation de cette élection divise un certain nombre d'opinions nationales.

Cette situation affaiblit la voix de l'Europe, alors que, sur la scène mondiale, les pays industrialisés de l'Ouest sont confrontés aux revendications des pays en voie de développement, notamment lors de la conférence économique internationale de Paris. En fait, bien souvent, c'est Carter qui mène le train. L'Europe suit.

Heure anglaise

À la tête des institutions communautaires, le hasard du calendrier aidant, les Britanniques se taillent la part du lion. Du 1er janvier 1977 au 30 juin 1977, la présidence du Conseil des ministres échoit pour six mois à la Grande-Bretagne. (Anthony Crosland décédé est remplacé par le jeune David Owen.) Simultanément, depuis le 1er janvier 1977 (en principe pour 4 ans), l'ancien ministre britannique de l'Intérieur, Roy Jenkins, succède à François-Xavier Ortoli à la présidence de la Commission des Communautés européennes. S'agissant de travaillistes très européens, de cœur ou de raison, cette prédominance anglaise à la tête de deux institutions clefs de la CEE aurait pu constituer tout à la fois une occasion de rééquilibrage interne de l'Europe (face au couple franco-allemand), un apport de traditions démocratiques bénéfiques et une mise à l'épreuve de l'attachement britannique aux objectifs communautaires.

À l'expérience, les résultats sont ambigus. On notera, pour l'anecdote, la place particulière qu'occupe subitement la langue anglaise dans les documents diffusés à Bruxelles (il y aura même une interpellation à ce sujet devant le Parlement européen). Plus fondamentale apparaît l'évolution qu'impriment les Britanniques aux politiques européennes, comme si l'intérêt britannique l'emportait, à leurs yeux, sur l'intérêt communautaire ou comme s'il s'agissait d'obtenir, par la bande, des avantages qui n'avaient pu être arrachés lors des négociations au moment de leur adhésion. Plusieurs épisodes touchant à la politique agricole sont significatifs à cet égard : le refus par Roy Jenkins de subventionner l'exportation de certains surplus européens de beurre, alors que la Grande-Bretagne s'approvisionne en beurre à l'extérieur ; la volonté britannique de ne pas renoncer, si peu que ce soit, aux aides à l'importation (par le jeu des montants compensatoires destinés à effacer la dépréciation de la livre) ; l'introduction, à la demande de Londres, d'une politique de soutien à la consommation à partir de subsides communautaires, alors que cette disposition n'est pas prévue par le Traité de Rome. C'est une politique qu'avait laissé entrevoir Roy Jenkins dans son premier discours devant le Parlement européen : afin de faire entrer l'Europe dans la vie des citoyens, avait-il dit, il nous faudra donner un plus grand poids à la protection des consommateurs et à celle de l'environnement.

Un pas

En matière de politique commune, c'est dans le domaine de la pêche que l'Europe a fait des progrès significatifs.

L'accord sur la pêche obtenu le 29 octobre 1976 par les ministres des Neuf sur les principes d'une politique communautaire est un grand succès. L'accord prévoit que :
– la zone de pêche de tous les États membres de la CEE est portée à 200 milles le 1er janvier 1977 ;
– la Commission peut engager des négociations avec les pays tiers sur les droits de pêche ;
– une attitude commune sera adoptée par les pays de la CEE au cours des réunions des conventions régionales de la pêche.

Protectionnisme

Les Neuf ont naturellement essayé de faire disparaître les graves séquelles de la crise économique. Mais le préalable à toute action commune reposant, comme le constatait Helmut Schmidt au Conseil européen de La Haye, fin novembre 1976, sur la « consolidation des économies nationales », dans la mesure où cette tâche est inépuisable, le champ des interventions communes se restreint. Il n'est plus question par exemple d'union économique et monétaire ; le plan Duisenberg est enterré ; le petit serpent monétaire n'existe plus que pour permettre, en bon ordre, une mini-réévaluation du DM. À Paris, R. Barre n'entrevoit pas de réintégrer le franc dans le serpent, le Premier ministre étant occupé à réparer ce qu'il considère comme les erreurs de son prédécesseur, erreurs ayant abouti à la sortie du franc...