Mode

Un folklore de luxe

La mode de l'hiver est entrée en scène sous les applaudissements. Sur un air de folklore qui a inspiré tous les couturiers, Yves Saint-Laurent a monté un spectacle d'une exubérante richesse. « À vous couper le souffle... à manger son chapeau... », ont dit les Américains, stupéfaits de retrouver, trente ans après, un nouveau new-look : taille étroite, jupe ample et longue, manteau enveloppant. Mais traité avec faste : des pelisses de boyards, des caftans de lamé, des blouses paysannes en mousseline dorée, des jupons plissés de tzigane ; des flots de taffetas empourprés, de velours chamarrés, de satins caressants, de passementerie, de broderies, de soutaches. Et, pour orner les têtes orgueilleuses, des couronnes de vison, des tiares de pierreries. On a évoqué les nuits de Kaboul, la foire de Kazan, les épopées de l'Orient-Express dans la fumée des samovars...

La foule ne s'est pas émue pour autant. De 2 000 à 10 000 dollars, les prix de ces pièces de musée en font des accoutrements de reines. N'importe. Les collections sont les locomotives de la haute couture. Elles sont le panache, le prestige d'une institution qui flatte les moins chauvins des Français. La publicité ainsi faite bénéficie à tous les produits vendus sous la même griffe (parfums, accessoires, maroquinerie, tricots et lingeries, modes pour bébés, fourrures et cadeaux les plus divers) et, bien entendu, au prêt-à-porter.

Moins dociles que leurs mères en 1947, les filles ont gardé leurs manteaux en bure, leurs panchos et leurs anoraks, leurs tricots larges et leurs sourires narquois.

Le stylisme

Le stylisme ne concernait encore, il y a quinze ans, que l'esthétique industrielle. Appliqué au vêtement, il a provoqué une sorte de révolution. Il a créé des modèles bien faits, sans détails superflus, pour le plus grand nombre ; il a mis la beauté à la portée de tous, prenant le contre-pied d'une tradition bourgeoise qui voulait que le vêtement abordable soit laid. Soutenu par la grande distribution et de vrais novateurs, le stylisme est devenu un mouvement. Des pionniers comme Denise Fayolle, Maïmé Arnodin, Michèle Rosier ont frayé le chemin à une nouvelle génération. Les huit stylistes présentés ici sont renommés en France et à l'étranger. Ils ne sont pas les seuls.

Emmanuelle Khanh

Mannequin pendant un temps, chez Balenciaga, chez Givenchy, Emmanuelle Khanh connaît l'envers des robes et du décor. Elle a cousu pour elle avant d'habiller les autres, des femmes qui lui ressemblent, hautes et minces, attentives et lointaines. Depuis 1962, elle présente des collections. Ses modèles d'été en fibres naturelles, dans des coloris unis teints à ses propres couleurs, ont la limpidité des eaux vives. Des broderies au décolleté, à l'épaule, des jours leur ajoutent une élégance précieuse, une féminité réfléchie et sûre d'elle.

Popy Moreni

Une carrière commencée à l'école d'Art de la mode et du costume à Turin, poursuivie à Paris auprès de Maïmé Arnodin : à vingt ans, Popy Moreni dirige un bureau de style ; cinq ans plus tard, elle fonde sa propre entreprise. En 1976, elle ouvre boutique, en noir et blanc, tout près de la fontaine des Innocents. Créatrice étincelante et lucide, elle construit ses vêtements avec la même rigueur que son décor : en lignes pures. À partir d'un grand rectangle de tissu qui se fronce naturellement sur le corps, et avec des accessoires baroques, elle esquisse les règles d'une élégance fière, étonnamment graphique.

Daniel Le Bret

Venu au monde l'année du new-look, Daniel Le Bret a grandi et vécu pour la mode, apprise à l'école de la Chambre syndicale de la couture, puis pratiquée chez Guy Laroche et Ted Lapidus. Il est l'inventeur du vêtement à une seule couture, conçu sur le principe de l'enveloppe. La méthode, dûment brevetée, utilisable pour toutes les pièces de l'habillement (manteau, robe, pantalon, blouson) permet une économie de tissu et réduit de moitié les temps de fabrication. En attendant de convaincre et de vaincre, Daniel Le Bret coupe et coud sur mesure la soie, le tweed, le crêpe, sans déroger à ses principes.

Jean-Charles de Castelbajac

C'est lui le cadet du Limousin, auteur d'une mode rurale influencée par la nature, le soleil, le froid, la pluie, réalisée dans des matières inattendues (torchon, serpillière, couverture), et qui compte beaucoup d'adeptes. « Un vêtement, a-t-il dit, c'est une maison plus qu'une mode. Le capuchon est le toit, les poches sont les pièces, la laine fournit la chaleur... » Son talent de créateur il l'a exercé d'abord en famille, entre amis. Il a habillé les Rolling Stones pour la scène, travaillé pour le théâtre et le cinéma, tout en allant apprendre chez Pierre d'Alby les secrets de la meilleure fabrication. Taillés à l'emporte-pièce, ses modèles sont faits pour durer toute la vie.

Michel Schreiber

À sa façon un philosophe et un humaniste, évidemment barbu, et qui s'attache à mettre l'homme à l'aise dans son être, dans son cadre et dans son époque, en lui donnant par le vêtement la notion d'un certain art de vivre. Apprenti tailleur à 16 ans, Schreiber s'est affranchi tôt du conformisme et des routines. Il porte ce qu'il aime : une veste ou un manteau hospitaliers, sans rembourrage ni entoilage, avec des poches utiles, un col rabattu, et le toucher du coton ou de la laine. Les tenues de travail créées pour les ouvriers des exploitations pétrolières ou de la sidérurgie sont taillées selon les mêmes exigences, avec des couleurs en plus. Son atelier, unique lieu de vente à Paris, Michel Schreiber l'a planté voici une dizaine d'années au fond d'une cour de la rue du Temple. Pour voisins, il a le plus ancien des cafés-théâtres, dans l'escalier une confrérie dé chats pelés et, en toile de fond, la machinerie du Centre Beaubourg.

Issey Miyaké

Le plus doué des Japonais de Paris, comme disent ses amis, avait présenté sa première collection de mode avant même d'être diplômé des Beaux-Arts en 1963. En treize ans, il a sillonné le monde, cueilli partout des lauriers, ouvert des boutiques, dessiné des uniformes. À Paris, il a travaillé avec Givenchy et Guy Laroche. Il pétrit l'ampleur comme une pâte et cache, sous une profusion de tissus légers (gaze de lin, voile de coton, jerseys), drapés ou froncés, des structures élaborées. Ses manteaux immenses, ses combinaisons-lampions, étroites aux épaules, serrées aux chevilles, gonflées aux hanches, auraient fascine Paul Poiret.

Élisabeth de Senneville

Après les Beaux-Arts et deux expositions de peinture, Élisabeth de Senneville aborde la couture en 1964. Pendant quatre ans, chez Dior, puis au Printemps, elle a appris son métier de styliste. En 1975, pour la première fois, elle présente ses collections réalisées pour le prêt-à-porter. Encouragée par le succès, elle crée sa propre marque et s'installe dans ses murs, rue du Bouloi, du côté des Halles. Des Corbières, pays de rocailles et de garrigues où elle a vécu son enfance, elle garde le goût des grands espaces balayés de vent, brûlés de soleil, et le transpose dans sa création de vêtements équilibrés et confortables, (anoraks, parkas, combinaisons, shorts), pratiques pour mener la vie simple et sportive qu'elle aime.

Sonia Rykiel

Une femme de lettres, une femme de tête. Loin des rumeurs, elle crée une mode intemporelle et constante. Elle pose sur les corps de minces étoffes, soie, étamine, cachemire ; elle fend la jupe sur une jambe glorieuse ; elle superpose une tunique sans ourlet, une veste réversible portée cavalièrement et une ceinture-pagne. Tous les éléments s'empilent, s'enroulent, se complètent, comme elle l'a prévu. Lente, nonchalante, dénouée, cette mode-là donne de la grâce à des femmes raffinées et secrètes, qui ont le sourire fermé des Jocondes, le sein fleuri, la hanche captivante. De maille en maille, Sonia Rykiel a acquis depuis douze ans un renom international.

Libre-service...

C'est dit, la mode n'est plus à la mode. On peut en juger d'un coup d'œil, dans les rues, dans les gares, aux portes des lycées. Cabans, ponchos, jeans en tous genres, tricots lâches, blouses de peintre ceinturées de laine, c'est la mode en libre choix, en libre service, agencée selon les goûts et les moyens, la seule admise par une majorité d'adolescents.