Pour Anouilh, enfin, même chaud et froid. Le scénario a déçu, malgré la présence de Jacques Fabbri dans un de ces rôles grinçants dont l'auteur de Bitos a le secret. Mais Chers Zoiseaux, tout aussi déplaisant en son principe, emportait l'adhésion par la verve extraordinaire de cette charge tous azimuts contre les intellectuels de gauche et les autres, où les spectateurs ont eu la surprise de découvrir en Michel Lonsdale le prodigieux acteur de Boulevard qu'il sait être aussi.

Le Boulevard, puisqu'on en parle, continue de vivoter, vaille que vaille. Alors que La cage aux folles poursuit sa phénoménale carrière (faute de concurrence, peut-être), Jean Poiret a fait jouer une nouvelle comédie par la vedette-fétiche du théâtre de divertissement, une fois de plus habillée sur mesure. Comme prévu, Jacqueline Maillan se glisse sans peine dans le fourreau de Féfé de Broadway. La routine du rire digestif, facile sans être déshonorant. Grâce à Woody Allen, Francis Perrin amuse également un public qui évite de penser, avec Une aspirine pour deux. Seul Didier Kamenka renouvelle un peu le genre en apportant, avec Pour cent briques t'as plus rien maintenant, quelques vestiges de la grinçante fantaisie de ses débuts.

On est tout de même loin du café-théâtre, qui continue de drainer vers des lieux spécialisés les foules estudiantines, mais aussi déjà plus bourgeoises. La relève est assurée, en douceur, car, si le style est différent, les ambitions ne sont pas toujours beaucoup plus élevées.

Nouveautés

Mais venons-en précisément au théâtre qui se veut davantage un art qu'une marchandise. Quoi de neuf, cette saison ? Le bain de vapeur, de Roland Dubillard, s'est vite perdu dans ses fumées, en dépit de l'incontestable génie de son auteur, si brouillon, hélas, qu'il ne s'y retrouve pas lui-même. Jean Vauthier, autre artiste au talent réel, n'a pas retrouvé non plus avec Élizabeth la réussite des Prodiges, malgré la complicité de Marcel Maréchal et l'ardeur de Judith Magre. Tout contre un petit bois, de Jean-Michel Ribes, aurait dû rencontrer plus de succès ; c'était une œuvre ambitieuse, servie par une comédienne d'exception, nommée Michèle Marquais. Il est vrai que celle-ci avait été encensée, peu de temps auparavant, pour son interprétation du Portrait de Dora, méditation sensible d'Hélène Cixous sur une fameuse analyse freudienne, dont Simone Benmussa a bien saisi l'étrange climat fin de siècle.

Ce sont du reste les femmes qui se sont surtout distinguées cette année dans le domaine d'un théâtre différent, à l'écart des modes ou des tendances : Emma Santos, bouleversante dans sa confession que Claude Régy a conduite avec une pudeur exemplaire ; Danièle Lebrun, incarnant Madame de Sade, selon Mishima et Pieyre de Mandiargues, hiératique, passionnée, singulière ; les trois Dames du jeudi, enfin, Suzanne Flon, Françoise Lugagne et Dominique Blanchar, créatures idéales pour la première pièce de Loleh Bellon, passée de la comédie à l'écriture avec une aisance qui stupéfie, et un charme dont la recette semblait s'être perdue depuis Tchekhov...

Ce bref aperçu, bien trop bref (il faudrait dire un mot de Schippel, mis en scène par Jean-Claude Fail, de Claudel, servi par Dusséaux, d'Iphigénie-Hotel, vu par Vitez, des reprises de Durrenmatt, du Canadien Michel Garneau, de l'Aquarium, de l'Attroupement, de tant d'autres...), cette revue au pas de course, qui essaie de mettre de l'ordre dans le désordre, ne rend pas compte d'un phénomène essentiel : l'anarchique prolifération du théâtre en France.

Des troupes naissent chaque semaine, les spectacles se succèdent à un rythme jamais connu, dans un tourbillon que les professionnels eux-mêmes renoncent à dominer. Est-ce un signe de vigueur, ou les prémices d'un cancer incurable ? Faux problème, en vérité. Notre théâtre est l'image d'un pays qui se cherche, et dont il traduit le trouble mieux que les autres arts, peut-être, parce qu'il est à la fois la réflexion, le symbole et la vie.

Ainsi, parler de sa maladie ou de sa bonne santé n'a guère de sens : il est tout simplement le reflet d'une société en crise. Et qui pourrait nier qu'elle le soit ?

Cinéma

Au palmarès des réussites beaucoup de réalisations italiennes

C'est la crise. La production baisse, les films s'arrêtent, faute de crédit, en cours de tournage, et la fréquentation, après la minuscule remontée de l'an dernier, lueur d'espérance vite éteinte, continue son inexorable mouvement de chute libre. À Cannes où, la baisse de la production en quantité et en qualité étant la même dans tous les pays industriels, la sélection fut particulièrement difficile, chacun s'abordait la mine sombre. Le cinéma est malade. Crise de croissance, crise de civilisation, agonie irréversible ? Certains augures sont très pessimistes. D'autres espèrent une relève venue des pays du tiers monde, dont les œuvres, passé la fièvre didactique et militante de l'adolescence, semblent arriver à maturité. Pour le spectateur, cette évolution, d'ailleurs à peine amorcée, n'est pas encore sensible.