Le grand public, lui, a préféré Le Molière imaginaire, un charmant ballet-comédie conçu pour Robert Hirsch et monté au Théâtre français. Béjart s'affirme plus que jamais comme un démiurge et non comme un créateur de langage. Il reste celui qui a su mobiliser les foules, les attirer au ballet et faire de la danse, selon son expression, l'art du XXe siècle.

« La danse, écrivait-il, n'est pas seulement un spectacle et l'engouement d'un public nouveau et fervent ne mènera nulle part si une révolution profonde ne lui rend pas sa place au sein d'une société qui se cherche... La place de la danse est à la maison, dans la rue, dans la vie. » C'est bien de cela qu'il est question aujourd'hui.

Théâtre

Porte ouverte aux metteurs en scène étrangers

Dans le domaine des arts, le Français n'est guère aventureux ; c'est là son moindre défaut. Jusqu'à ces dernières années, le théâtre, en particulier, est demeuré clos sur ses traditions, comme si le reste de l'univers n'existait pas. Il aura fallu le Théâtre des Nations et surtout le festival de Nancy pour que nos artistes découvrent des horizons qu'ils ne semblaient pas soupçonner.

Pour eux, toute pièce était d'abord un texte, et l'auteur l'emportait sur les autres artisans d'un spectacle. Peu à peu, cependant, Peter Brook, Grotowski, Julian Beck, Bob Wilson, Peter Schumann, Tadeusz Kantor et beaucoup d'autres leur ont enfin appris que le théâtre n'est pas seulement un art de la parole, voire des idées. Ils ont également renoncé à la conviction (fausse) que l'esprit français refuse d'instinct ce qui vient d'ailleurs, comme s'il était le seul à posséder une esthétique et une vérité.

Après quelques saisons d'hésitation, marquées par de timides essais, on a l'impression, cette année, que le tournant est pris : désormais, les grands metteurs en scène étrangers auront droit de cité chez nous, au même titre que les grands chefs d'orchestre, les grands chorégraphes ou les solistes internationaux. C'est une petite révolution : le théâtre français se met à l'heure du monde. Il n'était que temps.

Paradoxe

Qui aurait cru, naguère encore, que ce serait un Italien, Franco Zeffirelli, qui dirigerait les représentations de Lorenzaccio à la Comédie-Française, et Terry Hands, un Anglais, celles du Cid, dans ce temple de nos habitudes séculaires... Si ces deux spectacles ont attiré un vaste public (à cet égard, l'expérience est concluante), on ne peut pas dire que le résultat ait été probant, quand on le considère d'un point de vue critique. Vu par ce Florentin élégant, le drame de Musset a paru s'affadir dans une profusion décorative d'un baroque assez pompier, tandis que Claude Rich, éphémère pensionnaire de la maison de Molière, cherchait en vain son personnage parmi ce fatras de brocart et d'or. Quant à Rodrigue, incarné par François Beaulieu, Terry Hands l'avait curieusement japonisé, comme si l'Espagne du Cid Campeador n'était peuplée que de samouraïs égarés parmi nous. La leçon de théâtre nous est venue d'une autre rencontre, également saugrenue. Il y avait du paradoxe, en effet, à jouer La Cerisaie en italien à l'Odéon.

Mais, là, le maître d'œuvre était Giorgio Strehler, homme d'exception dont la personnalité est assez forte pour imposer quoi que ce soit. À défaut du charme slave à la française, nous avons eu droit à un grand bal nostalgique et dépouillé, que traversaient parfois les élans du bel canto, servi par l'admirable Valentina Cortese. Aucun rapport avec nos Russies de cartes postales, c'est vrai. Et alors ? La cohérence et la solidité du talent de Strehler suffisaient à imposer une vision tchékhovienne qui ne devait rien, pour cette fois, à l'exotisme de convention dont on a toujours déguisé un des chefs-d'œuvre de l'art dramatique du XXe siècle.

Plus slave, bien qu'elle ait été donnée en allemand, aura paru la représentation des Estivants de Gorki, dans la version remaniée par Peter Stein. Ce nouveau phare de la mise en scène, qui nous est venu de Berlin, sait utiliser des acteurs rompus au métier avec une précision étonnante : une mécanique d'horlogerie remontée par le Dr Freud, tandis que Brecht, en coulisse, observe la démarche incisive de ce disciple infidèle. Son compère Gruber a cherché des effets plus insolites pour animer l'Empédocle d'Holderlin, poème dramatique d'un lyrisme parfois nébuleux. La démonstration était intéressante, bien que le tape-à-l'œil n'en fût pas tout à fait absent. Dans le même théâtre des Amandiers, à Nanterre (mais avec des comédiens français), on a pu voir également une très belle représentation du Songe d'une nuit d'été, rêvée par le Roumain Petrika Ionesco. Devant un décor de neige, les créatures de Shakespeare retrouvaient la grâce ensorcelée des contes de fée, tandis que Michel Robin, en Puck à la retraite, apportait au personnage une savoureuse, une inédite cocasserie.

Festival

C'est aussi Shakespeare que le Suisse Benno Besson avait choisi d'illustrer, au palais des Papes, en Avignon. Ce fut un Comme il vous plaira qui n'a pas plu à tout le monde : trop pesant, par instant, malgré de jolies trouvailles. Les abonnés du Festival ont préféré de beaucoup la magie de Bob Wilson, qui s'était associé au musicien Philip Glass pour la création d'Einstein on the beach, étrange opéra incantatoire, plongeant les spectateurs dans un état d'hypnose irrésistible. On était loin du Regard du sourd, où régnait un silence presque absolu, mais la poésie était toujours au rendez-vous, même si Bob Wilson semble évoluer vers un art plus élaboré, plus conscient, pour ne pas dire plus scientifique.