Synthèse

1976-1977 : douze mois déconcertants, l'année de l'incertitude

On attendait une vie politique toute tendue vers la grande échéance des élections législatives, vers l'épreuve décisive de l'après-gaullisme, et, à cet égard, on n'a pas été déçu : elle le fut en effet. Mais on prévoyait aussi que les deux camps en présence s'organiseraient, se mobiliseraient dans l'unité et la détermination : or, c'est le contraire qui s'est produit. Car ils se sont montrés, l'un et l'autre, plus divisés qu'unis, davantage soucieux de régler leurs rivalités internes que de préparer leur affrontement prochain.

Sur la date de cet affrontement, sur le mode de scrutin, sur les tactiques des deux coalitions, sur leurs chances respectives, sur leurs programmes, on croyait que tout serait net, rondement mené et vite arrêté : or, toutes ces données n'ont cessé de varier dans une sorte de valse-hésitation où les dispositions, les choix, les perspectives, à peine fixés, étaient remis en cause, voire renversés. À trois mois et parfois même à trois semaines de distance, les mêmes augures pouvaient annoncer, sur le même ton de certitude, des élections anticipées ou au contraire se déroulant à la date normale de mars 1978 ; puis le changement ou le maintien du mode de scrutin ; et encore vanter l'entente ou redouter la rupture, ici et là, entre les partenaires. Et on a aussi entendu assurer à son de trompe, successivement, la victoire de la gauche et le succès de la majorité sortante...

Bientôt lassée de ces allées et venues, l'opinion considérait ces variations avec une sourde inquiétude et un croissant scepticisme. On en arrivait à cette situation psychologique assez paradoxale : nombre de partisans de l'opposition se montraient fort préoccupés et presque alarmés de ce qu'elle ferait si elle héritait le pouvoir ; tandis qu'une partie des tenants de la majorité semblaient se soucier davantage de la division de cette majorité que de sa victoire sur la gauche.

Ainsi, au début de l'été 1977, les pronostics les plus fermes, émis deux, quatre ou six mois plus tôt, étaient-ils tous plus ou moins mis en question. Élections à l'automne 1977 ou au printemps 1978 ; contenu définitif du programme commun et orientation exacte de la politique du gouvernement ; consolidation ou affaiblissement de l'alliance entre socialistes et communistes d'un côté, entre giscardiens et gaullistes de l'autre ; avenir des radicaux de gauche et des centristes ; fréquentes « primaires » ou arbitrages nombreux pour des candidatures uniques dans chaque camp ; enfin et surtout, résultats éventuels de la consultation et ampleur de la marge qui séparerait à l'issue du second tour les deux coalitions nul n'était plus en mesure de rien prévoir avec certitude ni même avec un minimum de vraisemblance et, comme on dit familièrement, personne ne savait plus où l'on en était. Oui, ce fut bien, dans la vie publique française, une année déconcertante, douze mois d'incertitude.

La crise du 25 août

Au début des vacances parlementaires de l'été 1976, les rumeurs de divergences graves entre le président de la République et le Premier ministre, qui n'ont cessé de courir depuis plusieurs semaines, semblent s'apaiser. Certes, on a bien perçu les réserves, pour ne pas dire plus, de Jacques Chirac au projet de taxation des plus-values élaboré par le ministre des Finances. Jean-Pierre Fourcade, mais inspiré par Valéry Giscard d'Estaing. Et, à l'Assemblée nationale, on a vu se manifester la mauvaise humeur des gaullistes, auxquels il a fallu forcer la main pour leur arracher, à la faveur d'une session extraordinaire achevée le 10 juillet, le vote de cette loi. Cependant, le chef de l'État se rend, les 5 et 6 juillet, à Hambourg, pour les consultations franco-allemandes semestrielles ; il accepte, au sommet de Bruxelles des 12 et 13 du même mois, ainsi que les huit partenaires de la France, le principe et les modalités de l'élection d'un Parlement européen au suffrage universel. On sait qu'il est attendu au Zaïre et au Gabon au début d'août. Le Premier ministre doit de son côté effectuer plusieurs voyages au cours de l'été. Rien n'annonce donc une crise, et le conflit, s'il doit s'aigrir, paraît renvoyé à la rentrée, à l'automne.