Régions

Une nouvelle carte de la France

Un recensement, ce n'est pas seulement, à travers une multitude de statistiques et de chiffres froids, la radioscopie à un moment donné de l'état démographique d'un pays. C'est aussi le reflet de la manière dont ce pays et les régions qui le composent ont évolué. Alors, sur ce point, le dernier recensement de 1975 bouscule sérieusement les idées reçues, et notamment l'existence de cette ligne de démarcation impalpable, tirée de Caen à Marseille, entre l'Est dynamique et l'Ouest déclinant. Et si, bien sûr, on ne peut pas s'appuyer uniquement sur la situation démographique pour apprécier la vitalité des régions, il n'en reste pas moins que la répartition et le mouvement des hommes sur le territoire constituent, au dire même du nouveau délégué à l'Aménagement du territoire, François Essig, « un des éléments principaux dont toute politique d'aménagement du territoire doit tenir compte ».

La toile de fond sur laquelle s'inscrivent ces mouvements est connue : la population française, qui s'élevait à 52 590 000 personnes au 20 février 1975, a crû au rythme de 0,8 % l'an entre 1968 et 1975, contre 1,2 % au cours de la période 1962-68. Certes, ce tassement s'explique partiellement par la fin du retour des rapatriés. Mais en partie seulement, car les statisticiens de l'INSEE constatent aussi le fléchissement de l'excédent naturel, qui passe de 0,7 % l'an entre 1962-68 à 0,6 % entre 1968-75. Ce qui veut dire que la population française, comme celle de tous les autres pays industrialisés d'Europe, vieillit et voit son potentiel de renouvellement diminuer. Mais, à partir de ce postulat général, on peut tirer des enseignements très différents selon les régions. Et tracer ainsi, en quelque sorte, une nouvelle carte du dynamisme de la France.

La dynamique démographique des régions françaises

Pour apprécier la dynamique démographique des régions, il faut tenir compte de deux éléments : l'évolution de l'excédent naturel — rapport des naissances et des décès — et celle des flux migratoires aux quatre pôles du territoire. On pourra, ensuite, tirer les conclusions globales résultant de ces deux éléments.

Évolution de l'excédent naturel

La comparaison des taux de l'excédent naturel au cours des deux périodes 1962-68 et 1968-75 révèle une grande stabilité dans la hiérarchie des régions : Haute-Normandie, Nord, Lorraine et Pays-de-la-Loire sont toujours dans le peloton de tête où les taux d'excédents naturels sont les plus élevés (entre 0,9 et 0,8 % par an). À l'opposé, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Auvergne sont celles qui renouvellent le plus faiblement leur population (entre 0,1 et 0,2 % par année).

D'une façon plus précise, on peut ainsi répartir les régions en trois groupes qui révèlent une division du pays en deux ensembles territoriaux opposés (Nord-Sud), reliés par une zone centrale intermédiaire.

Les régions du premier groupe constituent une sorte de croissant fertile qui va des Pays-de-la-Loire à la Franche-Comté, mais sans l'Alsace ni la Bretagne, où l'excédent naturel décroît.

Dans le second groupe, on trouve les régions méridionales avec l'Auvergne et une partie de la Bourgogne : ce sont des régions qui, ne renouvelant plus naturellement leur population, vieillissent et sont, à terme, menacées de stérilité.

Enfin, les régions de type III réunissent des zones anciennement rurales en voie de transformation : Alsace, Bretagne, Poitou-Charentes et Centre.

Évolution des flux migratoires

À la grande inertie des mouvements naturels correspondent une très grande souplesse et une forte amplitude des mouvements migratoires. En comparant, sur ce dernier point, les résultats enregistrés en 1962-68 et en 1968-75, on obtient la mise en valeur de trois faits importants :
– une attractivité forte — et nouvelle — des régions de l'Ouest (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes), dont la progression était pourtant négative de 1962 à 1968 ;
– un dépeuplement accentué du Massif central ;
– une réduction sensible de l'excédent migratoire dans la Région parisienne et, surtout, à Paris et dans ses départements limitrophes.

Évolution du solde global

Si l'on combine les deux éléments rapportés ci-dessus — solde naturel et flux migratoires —, on aboutit à la division de la France en quatre zones bien distinctes :
– fléchissement du potentiel démographique. Cette zone regroupe les régions caractérisées par un fort tassement de l'excédent migratoire et un faible excédent naturel. Ces régions, précisent les experts, peuvent avoir un solde total encore très positif — comme Provence-Côte d'Azur ou Rhône-Alpes ; elles sont pourtant réunies par le fléchissement de leur croissance globale et le vieillissement de leur population (à l'exception de Rhône-Alpes).
Et dans ce groupe se retrouvent Provence-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine, ainsi que, mais sous une forme différente, Rhône-Alpes, Auvergne et Limousin ;
– renversement positif de tendance. L'effort de décentralisation industrielle a permis de contrarier et même de stopper l'exode séculaire que connaissaient les trois régions de l'Ouest : Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes ;
– déclin. Dans cette zone se situent des régions où des problèmes de reconversion industrielle ou d'emplois se posent avec acuité : Nord, Lorraine, Basse-Normandie, et aussi les départements de la Seine-Maritime et des Ardennes ;
– stabilité positive. Cet ensemble, plus composite, comprend des régions où l'on observe une baisse de l'excédent naturel et du solde migratoire, mais où l'un et l'autre restent cependant positifs. À noter que les apports respectifs de ces deux composantes peuvent être sensiblement différents. Ainsi, c'est l'excédent naturel qui explique pour les trois quarts la forte croissance de la Franche-Comté, tandis que l'apport migratoire alimente pour plus de moitié la croissance du Centre.

Les nouvelles caractéristiques du phénomène urbain

La vague d'urbanisation qui avait si profondément modelé le paysage français au lendemain de l'après-guerre a, soudain, pris un nouveau cours. Les résultats du recensement révèlent, en effet, ce fait majeur : la croissance urbaine, qui s'était massivement orientée vers les cités de plus de 100 0000 habitants jusqu'en 1968, concerne maintenant davantage des villes de taille inférieure. En effet, au cours de la période 1968-74, la croissance a été de 10,4 % pour les villes de 20 000 à 100 000 habitants, de 7,1 % pour les villes de plus de 200 000 habitants et de 2,8 % pour l'agglomération parisienne.