Régions

Une formidable mutation bouleverse la gestion municipale

Que la France rurale des champs soit, en moins de vingt ans, devenue la France industrielle des villes, il n'est, pour s'en convaincre, que de lire le Livre blanc publié, au printemps 1974, par l'Association des maires des grandes villes de France.

Rédigé pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur l'épineux problème des finances locales, ce document de 200 pages traduit, en effet, la formidable mutation qui a ébranlé les fondements traditionnels du cher et vieux pays, fait éclore partout, et pas seulement autour de Paris, les banlieues tentaculaires, multiplié le nombre des citadins, bouleversé le rôle multiséculaire des maires, ces notables transformés d'un coup en P-DG d'entreprises immenses et complexes.

Budget

De ce qu'il faut bien appeler une révolution silencieuse, le Livre blanc donne des exemples d'autant plus saisissants que l'évaluation des crédits ou des dépenses est toujours exprimée en francs constants, c'est-à-dire sans tenir compte des effets de l'inflation. « Sous la poussée d'une urbanisation accélérée et de l'évolution du genre de vie des populations, une nouvelle mission a été progressivement assignée aux élus des grandes métropoles : assurer le bien-être collectif de tous leurs concitoyens », constate le Livre blanc.

Dès lors, « les fonctions administratives, qui constituaient l'essentiel des tâches dévolues aux communes, occupent désormais quelques rares bureaux de l'hôtel de ville, alors qu'ils en occupaient autrefois la quasi-totalité ». « Aussi parce que les agglomérations de vaste dimension sont devenues de véritables communes-provinces [...], les charges d'investissement et de fonctionnement sont de plus en plus importantes. »

Ce ne sont pas là affirmations gratuites. Pour les grandes agglomérations françaises, la charge budgétaire totale par habitant, de 1954 à 1974, augmente de 305 % (moyenne générale qui recouvre de profondes disparités, la progression du budget atteignant plus de 607 % à Nice et 229 % à Angers). La charge budgétaire est ainsi passée (en francs constants) de 249 francs en 1954 à 1 010 francs en 1974 ! Il est surtout intéressant de noter que, dans le cadre de ce budget général, les dépenses d'investissement (celles qui traduisent le dynamisme des villes ainsi que la montée des besoins) progressent beaucoup plus rapidement et beaucoup plus fortement que les dépenses de fonctionnement. Les dépenses d'investissement sont, en effet, passées (toujours en francs constants par habitant) de 62 francs en 1954 à 384 francs en 1974, soit une progression de + 520 %. Au cours de la même période, les dépenses de fonctionnement passent de 187 francs à 626 francs, soit + 234 %.

Mais, là encore, il faut relever de profondes différences entre les villes. La progression des dépenses d'investissement est d'environ 2 070 % à Limoges, et de 307 % à Avignon. Les dépenses de fonctionnement augmentent de 186 % à Avignon et de 600 % à Besançon.


Ce tableau fait apparaître une croissance très forte de l'investissement des grandes métropoles pendant les périodes 1954-1959 (+ 171 %) et 1964-1969 (+ 62,2 %). En revanche, la croissance de ces dépenses s'est élevée seulement à 31 % de 1959 à 1964 et s'est ensuite abaissée à 7,5 % de 1969 à 1974.

Des services nouveaux à la croissance vertigineuse

Certains services constituaient, jadis, dans l'organisation simplifiée des mairies, de simples divisions vouées au maximum d'activités. C'était le cas de la circulation (intégrée dans la voirie), de l'urbanisme et du logement. D'autres, comme la scolarité, les sports ou la jeunesse, étaient simplement confondus. Ce sont ces services qui ont, bien sûr, connu les taux de progression les plus vertigineux, les pourcentages enregistrés pouvant varier du zéro à l'infini.

La circulation

« Il est peu de domaines, constatent les maires, qui aient connu une évolution si foudroyante et occasionné des charges nouvelles. » En 1954, les problèmes de circulation et de stationnement n'existent pratiquement pas. Il n'y a pas, alors, de service de la circulation doté d'un budget propre. Le plus souvent, ce sont les services de la police qui assurent empiriquement (bâton et gants blancs) la régulation aux carrefours. Vingt ans après, on ne parle plus que plan de circulation, fluidité du trafic assurée par ordinateurs, viaducs de franchissements, et il existe des feux tricolores à tous les croisements.