L'immobilisme des supergrands, la passivité des Nations unies, l'indifférence de l'opinion mondiale tandis qu'Israël poursuit sa politique dite des faits accomplis, celle de la colonisation progressive et apparemment irréversible des territoires occupés, inquiètent au plus haut point les responsables arabes et contribuent à renforcer leur détermination de rallumer un foyer de guerre qui ne manquerait pas, à leurs yeux, d'ouvrir la voie à un règlement global aux conditions qu'ils estimeraient acceptables.

Préparatifs

La décision de déclencher les hostilités est prise au printemps de 1973, vraisemblablement en mars, lors de la formation d'un nouveau gouvernement en Égypte sous la présidence de Anouar el-Sadate, qui s'attribue également les fonctions de gouverneur militaire. Le Caire et Damas se livrent aux préparatifs guerriers, pour ainsi dire au vu et au su de tous, dans l'incrédulité générale. Des missions militaires soviétiques se succèdent dans les deux capitales, tandis qu'affluent d'importantes livraisons d'armement, notamment des fusées Sam-6 et Sam-7. Le ministre de la Guerre égyptien, le général Ahmed Ismaïl, nommé dès janvier à la tête des forces syriennes et jordaniennes, fait la navette entre Le Caire, Damas, Riyad et Koweït. Le président Sadate entreprend durant l'été de mystérieuses visites en Syrie et en Arabie Saoudite. Il est convenu (vraisemblablement en juillet ou en août) de déclencher la guerre le 6 octobre 1973, jour férié du Yom Kippour (le Grand Pardon, chez les juifs). Le président Sadate, en tout cas, révèle à plusieurs de ses interlocuteurs, en août, que « la confrontation est imminente ». Les premières mesures militaires sont prises début septembre. Le 10 du même mois, les présidents égyptien et syrien, auxquels se joindra le roi Hussein, mettent la dernière main à leurs plans de bataille.

Scepticisme

Les services de renseignements israéliens n'ignorent rien des préparatifs arabes. La CIA américaine alerte Jérusalem dès le 24 septembre. Des divisions entières, dotées d'armement et de munitions en quantités exceptionnelles, s'installent le long des lignes du cessez-le-feu. Les forces égyptiennes sont en état d'alerte ; certaines classes de réservistes ont été rappelées sous les drapeaux. L'armée syrienne se déploie massivement au pied du plateau du Golan. Rien n'échappe non plus à l'œil de Tel-Aviv. Les appareils espions installés sur les hauteurs du Golan ou le long de la ligne Bar-Lev, les avions de reconnaissance enregistrent tous les mouvements, toutes les concentrations suspectes. Les rapports des agents d'Israël dans les pays arabes s'entassent sur les bureaux d'Élie Zeira, le chef des renseignements militaires et des responsables du Mossad, services de contre-espionnage.

Cependant Israël ne bronche pas. Ses dirigeants sont incrédules, sceptiques ou confiants, et ne voient pas la nécessité de prendre des mesures de précaution. Certains sont persuadés que les Arabes ne se livrent qu'à des manœuvres routinières, d'autres s'imaginent que les présidents Sadate et Assad ne cherchent qu'à les intimider et à exercer un chantage sur les grandes puissances ; d'autres encore, comme le général Dayan, sont à tel point sûrs de la supériorité écrasante de Tsahal (l'armée israélienne) qu'ils estiment superflu de se préparer à affronter une offensive condamnée d'avance à l'échec.

La victoire éclair de juin 1967, les succès militaires enregistrés pendant les six années suivantes, le peu d'estime qu'ils témoignent à l'égard des Arabes, de leur caractère national et de leurs capacités techniques, la valeur stratégique qu'ils attribuent aux nouvelles frontières (les lignes du cessez-le-feu de juin 1967) les conduisent à accueillir avec une passive sérénité les renseignements sur l'offensive arabe en préparation.

Offensives

En réalité, deux membres du gouvernement seulement sont au courant des rapports des services de renseignements : Golda Meir et le général Dayan, qui décident de tenir leurs collègues, la commission de la Défense à la Knesset, dans l'ignorance des faits. Et ce n'est qu'à l'aube du 6 octobre, à la suite de l'alerte donnée par la CIA, que le cabinet est convoqué pour arrêter les mesures à prendre. Mais l'heure de l'attaque ayant été avancée de 18 heures à 14 heures, l'offensive arabe prend de court le gouvernement israélien, qui débattait encore de la situation.