Mais la pierre de touche n'est pas là. Au début de l'été 1974, chacun sait bien que le succès ou l'échec s'inscriront d'abord, et dès l'hiver, dans l'indice des prix et les indicateurs de l'activité économique, de l'emploi, de la croissance. Aussi est-ce dans le plan de refroidissement de l'inflation et dans les premières séries de mesures sociales prises à la fin du mois de juin que résident le secret, les chances et les risques de la nouvelle politique et de la nouvelle équipe.

Le quinquennat inachevé de Georges Pompidou

Accéder sans heurt à la présidence de la République au départ du personnage historique qui n'avait, disait-il, ni prédécesseur ni successeur ; diriger quatre ans et neuf mois la Ve République de l'après-gaullisme, avec des hauts et des bas, bien sûr, mais sans échec grave ; disparaître soudain sans avoir eu le loisir d'arbitrer la querelle des prétendants qui, aussitôt, à leur grand dam, s'entre-déchirent : ainsi peut-on résumer en peu de mots pour l'histoire le quinquennat inachevé de Georges Pompidou.

S'il fallait tracer des lignes de démarcation et caractériser d'un mot chaque période de sa présidence, on pourrait dire qu'elle débute, de l'élection de juin 1969 jusqu'à la mort du général de Gaulle à la fin de 1970, par une phase d'attente et d'observation empreinte de prudence et de modération. Puis, de janvier 1971 jusqu'aux premiers jours de l'été 1972, la déception engendre un certain durcissement. La péripétie électorale domine les dix-huit mois suivants, de l'été 1972 jusqu'à la fin de 1973, tandis que l'intransigeance croît, mais qu'en même temps se multiplient les hésitations, les flottements. Enfin, les trois premiers mois de 1974 ne sont plus guère qu'une lente et cruelle agonie.

Juin 1969-décembre 1970 : prudence et modération

Devenu, le 15 juin 1969, le premier en France, Georges Pompidou n'est pas, pas encore, le premier des Français.

Le premier des Français, en effet, a voté d'Irlande par procuration, puis s'est muré dans son village et dans son chagrin. Il a renoué avec son œuvre de mémorialiste, retrouvé sa place dans l'histoire. Statue du Commandeur impassible et immobile, le général de Gaulle n'en est que plus redoutable : car s'il bougeait, s'il parlait, quel écho ! Le pouvoir légal est certes à l'Élysée, mais le pouvoir moral se trouve à La Boisserie.

C'est pourquoi, pendant les dix-sept mois qui séparent son élection du soir de ce 9 novembre 1970 où le vieux chêne tombe soudain foudroyé, Georges Pompidou semble contenu, un peu effacé, comme intimidé. Ce n'est pas sur lui, sur l'Élysée, que sont braqués les projecteurs, mais sur le Premier ministre qu'il a choisi, Jacques Chaban-Delmas, sur l'hôtel Matignon où une équipe brillante multiplie les initiatives, les grands projets, les ambitions, dont la moindre n'est pas celle d'améliorer « la qualité de la vie » et d'édifier « une nouvelle société ». La rentrée de Valéry Giscard d'Estaing, l'entrée des centristes conduits par Jacques Duhamel et René Pleven illustrent la promesse de renouvellement dans la continuité.

Au début, le président et le Premier ministre marchent la main dans la main ; ensemble, ils assurent la dévaluation du mois d'août, le plan de redressement de la rentrée. Les premiers craquements se font entendre à l'automne : le chef de l'État semble déçu, parfois sourdement irrité, de la lenteur de son second. Toutefois, les divergences s'atténuent au cours de l'hiver 1969-70 devant les premiers succès du plan de redressement, de la politique contractuelle et de la concertation. Au surplus, le Premier ministre ne manque jamais de proclamer que « l'homme prééminent est à l'Élysée ».

La seule exception à cet effacement relatif du président, c'est le sommet européen de La Haye, les 1er et 2 décembre 1969. Il en a pris l'initiative et lance fortement le thème de l'union économique et monétaire, pousse à l'élargissement du Marché commun, dans lequel la Grande-Bretagne et trois autres partenaires nouveaux feront en effet leur entrée le 1er janvier 1973.