Leur inspiration plus spécifiquement européenne plaît à beaucoup d'oreilles souvent trop déconcertées par les complications psychologiques américaines. La France se découvre même une histoire du rock, et le groupe Au bonheur des dames l'incarne avec un sens de la commedia dell'arte très subtil.

Face à un show business parfois dévastateur, les gens du rock ont organisé ici leurs propres circuits de concerts. C'est ainsi que la province a pu être littéralement quadrillée pendant plusieurs mois par Gong, Magma, Crium, Alpes ; autant de noms qui ont largement préparé le terrain pour d'autres expériences, rendant enfin possible l'éclosion d'un véritable public pop français.

Soul

Ancêtre du rock à bien des égards, le rhythm and blues, appelé aussi soul music, remporte encore un joli succès en France, comme en témoignent les ventes de disques. On trouve chez elle toutes les valeurs sûres du genre, fermement établies depuis une dizaine d'années, parfois plus : Diana Ross, Marvin Gaye, Stevie Wonder, les Temptations...

L'usine fonctionne à plein rendement et la gloire des artistes brille sans faiblir, malgré quelques erreurs que ne pourrait se permettre aucun musicien de rock. On pense à la prestation de Diana Ross dans un film retraçant la vie de la grande Billie Hollyday, où elle incarnait le rôle principal. La musique soul n'a pas toujours le même public que le rock : elle est plutôt une invitation à la danse et on l'écoute dans les discothèques.

Elle a beaucoup évolué, elle aussi, et se pare aujourd'hui d'arrangements précieux (Temptations), d'harmonies mélodieuses qui contrastent avec sa simplicité d'autrefois. Tamla n'est d'ailleurs plus le seul grand producteur de cette musique ; il faut compter maintenant avec le Philadelphia Sound, en particulier Billy Paul, ou les artistes new-yorkais comme Curtis Mayfield, Bill Withers.

En même temps que la musique devient plus complexe, les paroles s'intellectualisent. Quête métaphysique chez Stevie Wonder (à Paris en janvier), exposé sans détour de tous les problèmes de la communauté noire avec Curtis Mayfield, poésie de Marvin Gaye.

Recherches

Le jazz, quant à lui, semble avoir dépassé l'état de revendication, de cri où il se trouvait à la fin des années 60 pour s'affirmer maintenant comme expression musicale complète, unique. Indépendante. Les recherches entreprises par Miles Davis depuis une dizaine d'années sont poursuivies à différents niveaux par la plupart des musiciens qui ont joué avec lui.

Tandis que les pianistes Herbie Hancock et Keith Jarrett empruntent des voies très avant-gardistes, liées au monde de l'électronique, du synthétiseur, Chick Corea tente un rapprochement avec les formes d'expression plus traditionnellement pop.

Sa formule rejoint celle du Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin (aujourd'hui dissous), qui a permis à beaucoup de musiciens de jazz d'étendre leur répertoire, de renouveler leurs thèmes.

Un ancien musicien du Mahavishnu, le batteur Billy Cobham, prolonge ainsi à sa manière les expériences de McLaughlin et Miles Davis. Celles-ci débordent d'ailleurs largement le cadre de l'Amérique et viennent toucher les Anglais et les Allemands. En Grande-Bretagne, Soft Machine réussit la synthèse des travaux de Miles Davis et Terry Riley, redonnant un nouvel essor à cette musique située aux frontières de la pop music et du jazz.

En France, enfin, le jazz se porte bien. Beaucoup de musiciens américains viennent y vivre et se produisent régulièrement à Paris et en province. Telles sont les formations du saxophoniste Frank Wright et du bassiste Alan Silva.

Pour tout un nouveau public venu au jazz après 68, on réédite les chefs-d'œuvre des plus prestigieux catalogues : Blue Note, ESP. Les concerts de Sun Ra à la fête de l'Humanité (septembre) et de Miles Davis au Palais des sports (juillet) demeurent les événements les plus marquants d'une saison riche en polémiques entre partisans et adversaires du free jazz.

Les interprètes de ce dernier se sont engagés dans la voie d'une indépendance économique à l'égard du show business : production et distribution des disques sont entre leurs mains, au bénéfice, bien sûr, de l'auditeur qui les paie beaucoup moins cher.

Cinéma

Le cinéma se penche sur son passé

Le cinéma (art mais aussi industrie) ne craint ni les contradictions ni les paradoxes. En France, par exemple, les chiffres de production n'ont jamais été aussi élevés qu'en 1973 (153 longs métrages, 200 si l'on y ajoute les coproductions minoritaires). La prolifération des multisalles a eu pour résultat bénéfique de structurer solidement et de diversifier intelligemment le réseau de programmation, mais le point de saturation semble atteint. L'Art et Essai, en annonçant l'affiliation de près de 500 salles, chante victoire. Les producteurs sont optimistes tout en réservant quelques flèches empoisonnées à l'État, qui refuse depuis longtemps de reconsidérer sa politique en matière de taxations. Cependant la courbe de fréquentation, en équilibre instable depuis trois ans, reprend dangereusement la voie descendante et l'on se demande sérieusement si l'augmentation du prix des places suffira à combler le déficit qu'entraîne la désaffection des spectateurs. Artistiquement parlant, la situation mondiale semble bien meilleure. La mode est incontestablement rétro. Finies la contestation, l'épidémie hippie, la révolte romantique. Le passé est partout présent. Resnais s'intéresse à l'affaire Stavisky, Louis Malle à l'Occupation, Fellini ressuscite son enfance, les Américains fouillent les années 30 et 40. Est-ce la crainte du vertige devant un avenir peu rassurant ? Le besoin de se tranquilliser à bon compte, d'embellir le temps jadis ? Ou simplement un engouement mélancolique pour ce qui n'est plus, un spleen contagieux ? Peut-être aussi un éclair de lucidité qui oblige le chercheur sérieux à décoder les événements qui ont conduit le monde à être ce qu'il est aujourd'hui ?

France

Le cinéma français, qui subit depuis plusieurs années une profonde crise d'inspiration, n'a pas réussi à mettre fin à sa longue et difficile traversée du désert. Les chiffres de fréquentation sont néanmoins satisfaisants et autorisent certains producteurs à jouer la carte de l'enthousiasme. Renvoyer dos à dos l'art et le commerce n'est pas une solution, mais il serait peut-être temps de chercher plutôt la conciliation. Les Italiens et les Américains nous ont ouvert la voie. Le cinéma français, dans son ensemble, conserve un traditionalisme étroit et s'impose des œillères. Quelle signification précise peut-on donner au succès remporté par Les aventures de Rabbi Jacob, L'emmerdeur, Le magnifique, Mais où est donc passée la 7e compagnie ?, Les valseuses ou Deux hommes dans la ville ? Tous ces films flattent avec plus ou moins de réussite le goût de ceux qui aiment le comique bon enfant, l'évasion distractive, les parodies de James Bond. Habiles dans l'art de confectionner un film qui sache correspondre au goût du jour, astucieux au point de subodorer avec le maximum de chances la situation ou la réplique qui fera mouche, les cinéastes restent peu soucieux, en revanche, d'innovations de style. Mais ils auront permis à un public indulgent de passer une agréable soirée. Les aventures de Rabbi Jacob consacrent la popularité de Louis de Funès et le savoir-faire d'Oury. L'emmerdeur semble avoir connu le succès plus par le numéro d'acteurs de Lino Ventura et de Jacques Brel que par la mise en scène relativement incolore d'Édouard Molinaro (comme l'est celle d'un autre de ses films, L'ironie du sort, qui a été un échec commercial).

Vedettariat

Le magnifique, c'est Belmondo, et les Deux hommes dans la ville, Alain Delon et Jean Gabin. S'agit-il d'un véritable retour en force du vedettariat et, curieusement, d'un vedettariat essentiellement masculin ? Il est vrai qu'aucune actrice, à l'exception de l'Italienne Laura Antonelli et des quatre stars bergmaniennes, n'a paru s'imposer sur l'écran. Des comédiennes comme Annie Girardot ou Mireille Darc ont misé sur de mauvais films : la première s'est égarée dans le Juliette et Juliette de Remo Forlani et le catastrophique Ursule et Grelu de Serge Korber. La seconde dans La race des seigneurs de Pierre Granier-Deferre. Leur seul nom en tête d'affiche ne parvient plus à attirer le public. C'est encore plus vrai pour Brigitte Bardot, égarée dans Colinot Trousse-chemise de Nana Companeez.