Tout au long de l'année, le maréchal Tito a poursuivi ses efforts en vue d'assurer sa succession et surtout la pérennité du régime. Cette action s'est développée dans trois directions : l'État, le parti (la LCY) et la classe ouvrière.

Constitution

La quatrième Constitution de la Yougoslavie, proclamée en février 1974, consacre l'aboutissement de trois années de réformes. Son objectif traduit le même souci que les précédentes : assurer la cohésion du pays et renforcer le système d'autogestion. Principale innovation, le remplacement des cinq précédentes chambres du Parlement par une assemblée fédérale comprenant deux chambres : une Chambre fédérale et une Chambre des républiques et des provinces.

La réorganisation du pouvoir s'étend aux échelons inférieurs et tend à permettre une participation plus large des travailleurs à la vie politique du pays. La réforme du mode d'élection et le renforcement de l'autogestion, qui s'étend dorénavant au contrôle des banques, des compagnies d'assurances et des sociétés commerciales, visent précisément à consolider le rôle de la classe ouvrière.

La nouvelle Constitution prévoit également un élargissement des droits des six républiques fédérées et des deux régions autonomes. Cette solution, très proche de la confédération (dans la mesure où le pouvoir local est considérablement renforcé par rapport au pouvoir fédéral), devrait, dans l'esprit des dirigeants de Belgrade, mettre un frein aux tensions et aux rivalités internes.

Ligue

Tout en recherchant, de manière constante, les moyens d'accroître l'implantation de la Ligue dans la classe ouvrière (25 % à peine des adhérents sont ouvriers), les dirigeants s'efforcent de mobiliser les membres du parti.

Certes, à chaque occasion, les dirigeants de la Ligue dénoncent les dangers des courants étatiques, bureaucratiques et staliniens ainsi que les velléités nationalistes de certains responsables locaux, mais ce sont essentiellement les libéraux qui font les frais des coups de semonce de Tito.

Deux épurations successives en Serbie (janvier et avril), et surtout un long affrontement entre le parti et les milieux universitaires de Belgrade et de Zagreb, témoignent des limites que le pouvoir fixe à ses intellectuels.

Orthodoxie

Parallèlement à cet affrontement, le parti lance une nouvelle offensive contre la revue Praxis de Zagreb. Les rédacteurs de cette revue, dont les positions sont qualifiées de « gauchisantes », sont accusés de mener une « critique de la Ligue, de son programme et de sa pratique, sous la forme d'une critique du positivisme stalinien ». Le principal reproche adressé à l'équipe de Praxis étant de constituer une fraction au sein du parti.

Cette reprise en main apparaît également dans le domaine des arts et des lettres. En dépit du souhait des dirigeants de Belgrade, le congrès de l'Union des écrivains yougoslaves ne s'est pas réuni en décembre. Il semble que les écrivains aient voulu ainsi éviter le débat sur « l'écrivain et la société d'autogestion » que voulaient leur imposer les officiels.

Enfin, on peut noter que les rapports entre l'Église et l'État se détériorent. Les dirigeants de la Ligue reprochent aux autorités religieuses (catholiques et orthodoxes serbes) d'avoir abusé de leurs droits en se mêlant à la politique.

Toute cette offensive idéologique devait déboucher sur le Xe Congrès de la Ligue des communistes de Yougoslavie, qui s'est tenu à Belgrade du 27 au 30 mai. La Ligue remanie, à cette occasion, ses organes dirigeants. La « conférence » est remplacée par un Comité central. Le praesidium ne comporte plus que 39 membres (au lieu de 52) ; enfin, le bureau exécutif, qui comptait 8 membres, est remplacé par un Comité exécutif de 12 membres.

Coopération

Le rapprochement avec Moscou, amorcé l'année dernière, se poursuit. Pour la première fois, d'ailleurs, une délégation du PC de l'Union soviétique a assisté au congrès de la LCY.

Lors de la visite de Kossyguine à Belgrade, huit jours avant la guerre du Kippour, l'Union soviétique obtient de Tito le droit de survol du territoire yougoslave pour ses avions qui assureront le pont aérien avec Le Caire et Damas. Plusieurs mois plus tard, les navires de guerre soviétiques obtiennent à leur tour le droit de mouiller dans les ports yougoslaves. En novembre, le maréchal Tito effectue un bref séjour à Kiev, où il rencontre Leonide Brejnev.

En même temps, Tito s'efforce de maintenir de bonnes relations avec les pays socialistes. Si les rapports avec les pays occidentaux paraissent moins spectaculaires (la seule visite que Tito devait effectuer à l'Ouest, au Danemark, en octobre 1973, a été annulée en raison de la guerre du Proche-Orient), ils restent néanmoins exemplaires.

La tension qui a surgi entre Rome et Belgrade à propos de Trieste, et qui a conduit le maréchal à déclarer que les seules menaces qui visaient la Yougoslavie étaient le fait de l'OTAN et non de l'URSS, cette tension ne semble pas de nature à remettre en cause la politique de non-alignement suivie par Belgrade.