En dix-huit mois de pouvoir, le gouvernement libéral sort vainqueur sur dix-neuf motions de confiance. Pour quatre d'entre elles, le Nouveau Parti démocratique ne soutient pas le gouvernement, qui se maintient grâce aux autres partis de l'opposition. Depuis la prise du pouvoir, le 30 octobre 1972, le Parti libéral s'assure du soutien des néo-démocrates en ne proposant que des projets de loi non controversés ou, du moins, qui répondent aux aspirations de ceux-ci. Les libéraux minoritaires de P. E. Trudeau font ainsi adopter 56 nouvelles lois (contre 175 lors du gouvernement majoritaire de 1968-72). En plus des législations anti-inflationnistes, qui les mèneront à leur perte, ils suspendent la peine de mort pour une période de cinq ans, mettent hors la loi l'écoute téléphonique et établissent pour la première fois des contrôles sévères sur le financement des partis et les dépenses électorales. Ils approuvent également des mesures visant à prévenir des détournements d'avions. Ils proposent une politique d'habitation favorisant les plans communautaires. Enfin, ils inscrivent dans une nouvelle législation les limites pour les investissements étrangers.

Concessions

Si le gouvernement Trudeau peut se maintenir au pouvoir pendant un an et demi, si le Parlement fonctionne pendant près de seize mois, c'est en partie parce que les libéraux font preuve d'une grande habileté tactique ; mais, surtout, parce que les néo-démocrates de David Lewis appuient (jusqu'au vote parlementaire du 8 mai) les ministres sur toutes les motions de confiance, à l'exception de celles portant sur les budgets de 1973. Cette alliance parlementaire entre libéraux et néo-démocrates n'est possible que par la volonté du gouvernement de faire des concessions politiques au NPD en infléchissant son programme législatif dans le sens souhaité par ce tiers parti de gauche. Ces concessions sont renforcées par les calculs politiques des néo-démocrates, qui craignent des élections hâtives favorisant une prise du pouvoir par le Parti conservateur.

Cependant, l'impopularité du Parti libéral entraîne le NPD à briser cette alliance et à précipiter la chute du gouvernement Trudeau. La campagne électorale qui s'ouvre trace déjà le thème central de l'élection : l'inflation et son impact sur la vie des Canadiens.

Si la hausse du coût de la vie provoque le renversement du Parti libéral à la Chambre des communes d'Ottawa, la crise du pétrole secoue également le gouvernement. Bien que le Canada considère avec satisfaction ses gisements pétrolifères (les plus importants du monde, grâce, entre autres, aux sables bitumineux d'Athabaska, dans la province du Manitoba), il prend conscience cette année du taux extrêmement rapide d'utilisation de ses ressources.

Pétrole

Les Canadiens consomment le pétrole brut plus rapidement que les vingt pays producteurs d'or noir. Les réserves de pétrole non exploitées atteignent neuf milliards de barils, tandis que la production moyenne annuelle s'élève à près de 1,7 milliard. À ce rythme, les sources pétrolifères seront taries en 1987.

Devant les risques d'une pénurie énergétique et la montée vertigineuse des prix, les provinces réclament, le 10 août 1973, l'ouverture d'une conférence sur le pétrole. La province de l'Ontario favorise la mise en commun des richesses naturelles. Elle permet ainsi une première brèche dans la ligne Borden, qui sépare, depuis 1961, l'est du pays, où seul le pétrole importé est accepté, de l'ouest qui se suffit à lui-même.

En effet, les provinces de l'Alberta, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie britannique produisent la totalité du pétrole canadien et exportent aux États-Unis 1,2 million de barils par mois. En attendant que se tienne cette conférence entre les Premiers ministres du Canada, les provinces de l'Est et l'administration fédérale suggèrent la construction d'un oléoduc transcanadien pour approvisionner les États démunis par la pénurie mondiale du pétrole. Le projet est retardé par les hésitations du Québec.

La première mesure du gouvernement fédéral pour contrecarrer la crise pétrolière est l'imposition, le 13 septembre, d'une surtaxe à l'exportation de 40 cents par baril à destination des États-Unis, seuls importateurs. Cette surtaxe a pour effet également d'équilibrer les prix d'un bout à l'autre du pays. Mais cette décision est décriée par les gouvernements des provinces productrices. Le Premier ministre conservateur de l'Alberta, Peter Laughead, y voit la plus grande discrimination de toute l'histoire de la confédération canadienne qu'ait eu à subir une province de la part du gouvernement central. Pour le gouvernement du Manitoba, c'est également là une intervention fédérale dans les affaires des provinces.

Rupture

L'Ouest souhaite plutôt un marché libre du pétrole. Sa prise de position n'empêche pourtant pas, le 2 novembre, le gouvernement Trudeau de porter la surtaxe à 1,90 dollar, pour répondre à l'escalade des prix internationaux. Le gouvernement de l'Alberta rompt alors toute négociation avec le pouvoir central sur la question énergétique. Les autres provinces productrices sont d'accord avec le gouvernement d'Ottawa à condition que la taxe à l'exportation leur revienne. Mais le gouvernement fédéral entend bien redistribuer cet argent sous forme de péréquation aux provinces les plus pauvres.