Marché commun

Les Neuf en ordre dispersé, avant le Nixon Round

Le président Georges Pompidou, finalement, se décide : à la mi-septembre 1972, il adresse à chacun des chefs d'État et de gouvernement de la Communauté élargie l'invitation à se rendre à un sommet qui se tiendra les 19 et 20 octobre à Paris. Ce n'est pas l'enthousiasme : les piètres résultats du référendum français sur l'Europe du printemps (Journal de l'année 1971-72) sont encore présents dans toutes les mémoires. Mais un ajournement de la réunion eût été interprété comme un recul. Georges Pompidou fixe des objectifs modestes : « Ce sommet, affirme le président dans sa conférence de presse du 21 septembre, doit être tenu même si ce n'est pas le tournant de l'histoire européenne. »

Les désaccords sont sous-jacents ; les Pays-Bas sont partisans d'un renforcement des institutions communautaires et l'Allemagne fédérale est opposée aux thèses françaises sur un relèvement du prix de l'or, notamment. D'autre part, le vote positif des Danois (56,7 % de « oui »), le 2 octobre 1972, n'a pas fait oublier le refus norvégien d'entrer dans la Communauté (53,9 % de « non », le 25 septembre). Il semble que l'Europe doute d'elle-même précisément au moment où Moscou et Washington signent des accords commerciaux et quand le président Nixon renoue des liens avec le Japon de Tanaka et la Chine de Mao Tsé-toung.

Sommet

Selon une dynamique qui s'était déjà manifestée lors du sommet à La Haye en 1969, le sommet de Paris permet à la Communauté élargie de réaffirmer ses finalités politiques, sociales et humaines : « L'Europe ne doit pas être une communauté de marchands », déclare G. Pompidou. Elle s'assigne de nouvelles tâches, précise son calendrier. 1980 devient une date clef : d'ici là, les Neuf s'engagent à créer « une Union européenne au sens large et complet du terme et dans le respect absolu des traités déjà souscrits ». L'objectif est lointain, ambigu. Mais la Communauté renoue avec les ambitions politiques de ses initiateurs, en s'appuyant sur le traité de Rome. E. Heath parle de « saisir l'imagination des jeunes » et du « pouvoir de la Communauté de faire le bien dans le monde ». Les Neuf se congratulent.

Sicco Mansholt, qui va céder la place à François-Xavier Ortoli à la présidence de la commission, est le seul à faire des réserves : manque d'ouverture sur le tiers monde, pas de progrès dans le domaine institutionnel (l'élection au suffrage direct du Parlement européen n'est pas précisée). « Pour tirer profit des possibilités qui s'offrent, il faudra, dit-il, une Commission européenne ayant une forte volonté politique. »

Dans les mois qui suivent le sommet, les coups de boutoir se succèdent : l'inflation, qui submerge les économies occidentales ; la crise monétaire, qui fait voler en éclats les belles résolutions du sommet et plonge l'Europe agricole dans le coma ; l'offensive diplomatique et commerciale des États-Unis, qui inhibe leurs interlocuteurs et isole la France de ses partenaires européens. W. Brandt est réélu, mais se préoccupe surtout d'ouverture à l'Est ; E. Heath s'épuise à relancer l'expansion et à maîtriser ses syndicats ; G. Pompidou, qui garde une majorité confortable après les élections de mars, ne prend pas de risque ; les Pays-Bas restent de longues semaines sans gouvernement ; l'Italie est absorbée par ses problèmes internes. La Communauté européenne vit des mois difficiles. La première date fixée sur l'échéancier arrêté par le sommet n'est pas respectée : point de création solennelle du Fonds européen de coopération monétaire au 1er avril.

Inflation

L'inflation devra faire l'objet prioritairement d'une lutte à l'échelle européenne. C'est une idée lancée par V. Giscard d'Estaing. Elle est avalisée au sommet d'octobre, concrétisée (novembre) au niveau des ministres des Finances des Neuf réunis à Luxembourg. Arme principale : le ralentissement de la progression de la masse monétaire ; recommandations : faire bénéficier les contribuables, par un abaissement de l'impôt sur la consommation, des surplus de rentrées fiscales du fait de la hausse des prix ; éviter le déficit budgétaire.