Cette session, ouverte par la princesse Béatrice des Pays-Bas, a été marquée par les exposés de deux théologiens orthodoxe et protestant, K. Sarkissian et J. Moltmann, sur le thème choisi : Engagés au service de la communauté fraternelle.

Il semble bien que, pour la première fois depuis deux ou trois décennies, la session d'Utrecht ait amorcé une synthèse entre les deux courants qui divisent aujourd'hui la chrétienté : le courant spiritualiste et le courant politique. Le thème choisi et la préparation de la Ve Assemblée générale septennale qui se tiendra en 1975 à Djakarta sont significatifs de cette synthèse : Jésus-Christ et libération des hommes. Cela veut dire – comme les deux termes de ce thème l'indiquent – qu'on a pu constater à Utrecht une réelle interaction du théologique et du socio-économique. Autrement dit, la réflexion théologique a été comme renouvelée par les combats pratiques ; inversement, ces combats n'ont reçu de légitimité pour les chrétiens que du fondement renouvelé de la foi.

Ainsi Utrecht a décidé à l'unanimité de doubler le Fonds de lutte contre le racisme, pris des mesures de désinvestissement dans les sociétés d'Afrique australe où sévit légalement l'apartheid, précisé l'appel au don des 2 % des Églises en faveur du développement, engagé des actions de solidarité diverses avec les opprimés, mais en même temps organisé un colloque de réflexion théologique à Cardiff (septembre 1972) sur la violence et la non-violence dans la lutte pour la justice sociale, invité sa Commission théologique (totalement œcuménique) à dire clairement d'ici deux ans ce que signifie aujourd'hui la parole de l'apôtre Pierre : « Rendre raison de l'espérance qui est en nous », préparé une Conférence mondiale sur le Salut aujourd'hui.

Mais le fait le plus saillant de cette session aura sans doute été l'élection à l'unanimité d'un nouveau secrétaire général du COE, c'est-à-dire du pilote d'un organisme dont le sigle est une barque sur des flots agités, en la personne du pasteur méthodiste noir antillais Philip Potier. On peut dire que cet homme à la forte carrure porte dans ses paroles et ses actes cette synthèse recherchée entre le commandement d'amour envers Dieu et le commandement d'amour envers le prochain. Il faut ajouter que, petit-fils d'esclave, il est le symbole des pauvres, l'ambassadeur des plus petits avec le président du Comité central, le professeur hindou M. Thomas, avec les délégués du tiers monde dont Utrecht a décidé de doubler les effectifs à l'assemblée de Djakarta. Ainsi le COE a bien décidé dans les faits « de se ranger délibérément du côté des plus pauvres », pour citer un de ses leaders, sans oublier que cette attitude ne peut découler que de la seule exigence évangélique.

Bangkok

La Conférence œcuménique réunie jusqu'au 8 janvier 1973 à Bangkok était organisée par la division des Missions et de l'Évangélisation du COE. Réponse en elle-même à ceux qui accusent le COE de ne faire que de la politique, elle devait entendre la question : « Que signifie être sauvé par Jésus-Christ pour les hommes d'aujourd'hui ? » Réunie dans un pays non chrétien, elle a permis aux délégués d'avoir de sérieux contacts avec le bouddhisme, mais surtout aux Églises blanches d'Occident (Europe et USA) d'entendre enfin avec force la voix des jeunes Églises d'Asie, d'Afrique, de Madagascar, d'Océanie et d'Amérique latine.

Il s'est produit comme un retournement historique en ce sens que les chrétiens blancs, qui ont longtemps cru – et croient encore parfois – pouvoir tout apporter aux hommes de couleur, ont, cette fois-ci, été enseignés par eux. Ces hommes de couleur, mis aux leviers de commande du COE à Utrecht, représentent une masse de peuples sans pouvoir économique, sans avoir financier et qui pourtant commencent à dépasser le stade des récriminations infantiles contre la civilisation occidentale. Comment cette évolution s'est-elle faite ? Par une découverte d'identité culturelle, par une lente maturité, par un effort difficile... pour lesquels il est indéniable que les jeunes Églises jouent un rôle éminent. Témoin ce passage de la Lettre aux Églises, élaborée par eux à Bangkok : « Christ est devenu un homme réel. Il s'est pleinement identifié avec les hommes réels de toutes tribus, races, couleurs ou cultures. Christ est venu racheter des hommes réels... Il est venu pour que les hommes puissent vivre en étant réellement eux-mêmes... Il est venu pour que vous et moi puissiez grandir et atteindre notre taille d'adulte, celle qui est mesurée par la plénitude de la stature du Christ... »

Les orthodoxes

Pour le monde orthodoxe, l'année commence par un vide. Un vide immense : la mort du patriarche œcuménique Athénagoras, le 7 juillet 1972, à 86 ans. Pendant près d'un quart de siècle – depuis le 1er novembre 1948 exactement –, il fut patriarche de Constantinople. Primat d'honneur de l'orthodoxie, Athénagoras reste, comme Jean XXIII, l'une des plus grandes figures du christianisme contemporain.

Unité

Inlassablement, il s'était employé à travailler au renouveau des Églises orthodoxes. Plus qu'aucun autre, et non sans affronter de très vives résistances – surtout dans le monde grec –, il s'était fait l'inlassable pèlerin de l'unité chrétienne, ouvrant ces vénérables communautés orthodoxes, souvent repliées sur leur particularisme, au dialogue avec le catholicisme, surtout, et aussi avec le protestantisme.