Éducation

Malaise et désarroi chez les professeurs du second degré

L'année scolaire 1971-72 s'ouvre sur une grève : le 15 septembre, jour de la rentrée, les professeurs du secondaire, à l'appel de leurs syndicats, refusent d'assurer leurs cours. C'est le début d'un vaste débat qui traduit l'existence d'un profond malaise dans le corps enseignant.

Les deux principaux syndicats décident de prolonger leur action ; ils invitent leurs adhérents à observer deux nouvelles journées de grève au cours des deux semaines suivantes, à des dates variables selon les académies.

Ces arrêts de travail sont largement, bien qu'inégalement, suivis : les syndicats estiment à 75 % en moyenne le pourcentage des grévistes ; le ministère, qui donne le chiffre de 40 % pour le jour de la rentrée, considère que le mouvement est déjà moins ample la deuxième semaine et « nettement moins suivi » la troisième fois. Les instituteurs ne s'y sont pas associés, à la suite d'engagements pris envers eux par le ministre.

Un détonateur

Cause directe de la grève : la réduction de la durée des vacances scolaires. Déjà le maintien de l'obligation imposée depuis 1969 aux professeurs de l'enseignement secondaire de se réunir dans leurs établissements quelques jours avant la rentrée avait provoqué un vif mécontentement. Cette prérentrée avait été ramenée, en 1971, de trois à deux jours, mais les vacances se sont trouvées, malgré tout, amputées de onze jours par le déroulement tardif des examens. Dès le mois de mai 1971, les syndicats lançaient une campagne contre cette atteinte à des droits acquis.

Devant les revendications qui motivent cette grève de la rentrée, l'opinion fait preuve d'une certaine incompréhension, sinon d'hostilité.

Mais, par ce mouvement, les enseignants entendent aussi protester contre la dégradation de leurs conditions de travail ; ils reprochent notamment au gouvernement de ne pas tenir ses engagements et de se refuser à l'examen des problèmes les plus urgents : classes surchargées, horaires excessifs, situation précaire des maîtres auxiliaires.

Ce dernier problème apparaît particulièrement justifié ; incertains du lendemain, déplacés au hasard des suppléances, peu à peu éliminés au profit de professeurs titulaires, les maîtres auxiliaires sont, en outre, les premiers touchés par toute mesure de suspension ou de licenciement. Plusieurs cas donnent lieu, dans le courant de l'année scolaire, à des manifestations. Le ministère use en effet largement du pouvoir sans appel dont il dispose sur les professeurs ou instituteurs non titulaires. Ceux-ci sont le plus souvent victimes de sanctions politiques déguisées.

En octobre, trois enseignants privés de postes mènent pendant plusieurs jours une grève de la faim dans le Nord. En janvier, c'est le tour de quatre enseignants de la région parisienne ; trois d'entre eux sont des auxiliaires ; le quatrième, professeur certifié, a été suspendu pour avoir refusé la visite d'un inspecteur général. Une manifestation de soutien réunit plus d'un millier de personnes le 28 janvier à Paris.

Cette question de l'inspection n'est pas absente des préoccupations des syndicats. Parmi ses revendications, le SGEN (Syndicat général de l'éducation nationale) a inscrit la suppression de la notation des enseignants. D'autres incidents, liés à des refus d'inspection, notamment à Marseille, ont montré qu'une forte minorité de professeurs contestent un système jugé par eux arbitraire et oppressif.

À Saint-Étienne, à l'occasion de la radiation d'un professeur pour « abandon de poste », six enseignants déclenchent une grève de la faim, estimant « impossible de vivre dans l'Éducation nationale dès lors que la politique du gouvernement se ramène à l'ordre moral, la mise au pas et l'épuration tant des profs que des lycéens ». Une manifestation en leur faveur rassemble plusieurs centaines de personnes le 27 janvier ; des mouvements de grève ont lieu.

Crise profonde

Ces difficultés sont révélatrices de problèmes plus généraux qui tiennent à l'exercice même du métier d'enseignant. Les professeurs du second degré se sentent contestés, dans leur autorité et dans leur fonction même, privés des moyens aussi bien de répondre à l'attente diffuse de leurs élèves que de maintenir l'ordre dans leurs classes ; incompris des parents comme de l'ensemble de l'opinion publique et, de plus, exposés aux sanctions du gouvernement qui se multiplient contre ceux qui veulent, disent certains d'entre eux, « remettre en cause l'école ».