Dossier
Charles de Gaulle 1890-1970

La mort du général de Gaulle, à Colombey-les-Deux-Églises, sera d'abord un secret bien gardé. Elle survient subitement le lundi 9 novembre 1970, à 19 h 30, et il s'écoulera plus de quatorze heures avant que l'événement soit rendu public.

Le mardi matin, 10 novembre, le chef de l'État, Georges Pompidou, est averti, à 7 h 30, par un coup de téléphone du gendre du général, le général Alain de Boissieu. Quand les agences de presse lancent leurs premiers flashes, il est environ 9 h 40. Aussitôt les stations de radio annoncent la nouvelle. L'ORTF et les postes périphériques décident sur l'instant de bouleverser leur programme ; les bulletins d'information se succèdent, entrecoupés seulement par de la grande musique. On relate au fur et à mesure qu'elles se précisent les circonstances de la mort du général, on diffuse les innombrables hommages qu'on rend à sa personne et à son œuvre. Très vite les éditions spéciales des journaux du soir, à Paris et en province, amplifient encore la stupeur et l'émotion qui se sont emparées du public. Les quotidiens du soir pulvérisent leurs records de vente.

En Europe et dans le monde, dans toutes les capitales, la première surprise passée, c'est la même stupeur et la même émotion. Bientôt partent vers Paris ou Colombey les télégrammes de condoléances ; ils sont signés de chefs d'État, de chefs de gouvernement, de personnalités ou de simples particuliers. Le flot ne cessera pas pendant plusieurs jours.

Rien n'a laissé pressentir l'événement qui accapare l'attention mondiale. Aucun signe avant-coureur, non plus, n'est venu avertir l'homme qui, plus que tout autre dans le siècle, a entretenu des liens aussi familiers avec le Destin.

Un jour comme les autres

Le dernier jour du général de Gaulle aura été semblable à chacun de ces jours ordinaires tels qu'ils s'écoulaient à la Boisserie depuis son départ du pouvoir. Le matin du 9 novembre, l'ancien chef de l'État travaille au second tome de ses Mémoires d'espoir : l'Effort. Il déjeune, de bon appétit, puis se promène dans le parc. Il reçoit ensuite la visite d'un jeune agriculteur de Colombey, René Piot : il s'agit de régler une affaire de clôture pour agrandir le parc de la Boisserie et planter des arbres.

« Le général avait, peu après 19 h, gagné la bibliothèque, où il recevait habituellement ses hôtes [récit établi par Jean Mauriac (fils de François Mauriac, journaliste de l'Agence France-Presse, accrédité à l'Élysée durant toute la présidence du général de Gaulle) à partir des relations des témoins qui ont vécu cette fin dramatique de la journée]. Il s'était, comme chaque soir, assis devant sa table de bridge — vêtu de son habituel costume croisé gris foncé — face à la télévision (il regardait souvent les actualités régionales avant le journal télévisé), étalant ses cartes à jouer pour une réussite en attendant l'heure de passer à table comme d'habitude, entre 19 h 10 et 19 h 20. Mme de Gaulle, à ses côtés, installée à son petit secrétaire Empire, écrivait. Il était 19 h 15 quand le général, soudainement, murmura : « Oh, j'ai mal là, dans le dos. » Il s'affaissa doucement sur le côté, retenu par le bras du fauteuil, la tête dans une main. Ces paroles prononcées — et qui furent les dernières —, il perdit connaissance. »

Aussitôt on fait appeler le médecin — le Dr Guy Lacheny, installé à Bar-sur-Aube, à 15 km — et le curé de Colombey, l'abbé Claude Jaugey. Ils arrivent dix minutes plus tard, en même temps. Avec l'aide du chauffeur, le médecin (qui diagnostiquera une rupture de l'aorte abdominale due, probablement, à un anévrisme) transporte le mourant, qui était demeuré allongé sur le tapis, sur le divan. Le prêtre vient ensuite, administre les derniers sacrements. Tout le monde est à genoux, Mme de Gaulle, le médecin, les deux servantes, Honorine et Charlotte. Il est 19 h 30 ; dans un silence profond, le cœur de Charles de Gaulle cesse de battre.

Celui de l'univers va vibrer. Car le deuil national, proclamé par le président Pompidou à la radio (« la France est veuve »), va aussitôt s'élargir en un deuil planétaire. Sur-le-champ, des dizaines de chefs d'État, Nixon et Podgorny en tête, des rois, des empereurs, des chefs de gouvernement manifestent leur intention de se rendre en France pour saluer la mémoire du disparu. Dans l'Hexagone, et dans d'innombrables pays, les drapeaux sont mis en berne, les églises sonnent le glas, des cérémonies s'improvisent, les témoignages de chagrin éclatent.