Journal de l'année Édition 1971 1971Éd. 1971

Les courses

De la piste au prétoire

Les courses se termineront-elles désormais devant les tribunaux ? On pourrait le penser à la suite de la cascade de procès qui, en 1970-71, a marqué l'année. Pendant plusieurs décennies, l'activité hippique n'a été suivie que par un nombre relativement restreint d'initiés, prêts à accepter le jeu et à se ranger aux décisions des commissaires. Le succès du tiercé a bouleversé les mœurs : 5 millions de parieurs apportent leur argent chaque dimanche au PMU. En contrepartie, ils entendent exercer un droit de regard et obtenir des explications sur le comportement de certains favoris décevants. Au besoin, ils n'hésitent pas à saisir la justice et à réclamer, devant elle, ce qu'ils estiment être leur dû. Ce fut le cas, notamment, d'un propriétaire et d'un professeur de lettres qui assignèrent Yves Saint-Martin et d'un employé de bureau qui réclama des dommages et intérêts à Roger Poincelet.

Vainqueur d'une épreuve sans grande importance — le Handicap de l'Île-de-France —, le cheval Château d'Ys, monté par Yves Saint-Martin, est distancé parce que, à la pesée suivant la course, le jockey accuse un poids supérieur à celui qui avait été enregistré avant le départ. Le propriétaire de Château d'Ys réclame au jockey, qu'il rend responsable de cette mésaventure, le montant du prix. Le tribunal de Senlis lui accorde 15 000 F. Mais la cour d'appel d'Amiens casse ce jugement et le déboute. Un parieur qui aurait réussi un beau report — 15 000 F pour une mise initiale de 5 F — si Château d'Ys n'avait pas été distancé perd son procès contre le jockey en première et en deuxième instance. Par contre, dans une affaire à peu près similaire, un joueur parvient à faire condamner un jockey. Le 24 avril 1966, Roger Poincelet se voyait infliger par les commissaires huit jours de mise à pied pour n'avoir pas suffisamment soutenu son cheval Scallywag à l'arrivée du tiercé. Cette sanction incite un tiercéiste à lui réclamer des dommages et intérêts pour la perte d'un jeu qui aurait dû lui rapporter quelque 100 000 F. Le tribunal de grande instance de Paris le déboute, mais la 7e chambre de la cour d'appel de Paris lui donne en partie raison : Poincelet est condamné à payer 15 000 F. Cette innovation en matière juridique — jusqu'à présent, ce genre d'incident était considéré comme un aléa des courses — ne pourra toutefois faire jurisprudence qu'après la décision de la Cour de cassation. Cette condamnation, en tout cas, soulève quelques tempêtes : les jockeys accepteront-ils encore de prendre le moindre risque si les sanctions des commissaires entraînent des poursuites pénales ?

À Avesnes-sur-Helpe (Nord), 13 personnes comparaissent devant le tribunal correctionnel pour avoir monté un réseau de ramassage de tickets de tiercé destinés à être enregistrés en Belgique. Le PMU décide de réclamer au bookmaker à l'origine de cette fraude un milliard d'anciens francs, somme correspondant à la baisse des enjeux dans la région frontalière. Mais la disproportion entre l'infraction et l'éventuelle condamnation incite les plaignants à plus de modération. C'est, finalement, des amendes et des peines de prison avec sursis qui seront prononcées.

Un entraîneur très connu dans les milieux du trotting, Georges Dreux, en appelle aussi à la Justice. Condamné par les commissaires de la Société du Cheval français à trois mois de suspension et 3 000 F d'amende pour avoir refusé de soumettre un de ses chevaux aux prélèvements biologiques destinés à prévenir le dopage, Il s'estime victime d'une cabbale. Aussi soumet-il son cas à l'appréciation des juges.

On entendra encore parler de courses dans les enceintes de justice l'année prochaine : deux affaires extrêmement graves sont en cours d'instruction. La première concerne une soixantaine d'employés des hippodromes qui avaient mis au point un astucieux système leur permettant de s'approprier des tickets gagnants après l'arrivée des courses. La seconde rappelle fâcheusement le tiercé du Prix de Bordeaux 1962 — qui n'a pas encore connu sa conclusion judiciaire. À Marseille, à la suite du Prix d'Entressen, course servant de support au pari triplet — un cousin local du tiercé —, un parieur empoche 1 100 000 F, c'est-à-dire 78 % de la masse des enjeux à répartir entre les gagnants. Plusieurs anomalies incitent la police des jeux à ouvrir une enquête pour répondre à ces deux questions : la course a-t-elle été régulière ? qu'y a-t-il d'anormal dans la répartition des Paris ?