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Cinéma

Œil ouvert sur le monde

Suffit-il donc de proposer aux spectateurs de bons films pour les voir aussitôt affluer aux guichets ? Propos naïf que les excellents résultats de la saison 1969-70 semblent pourtant devoir confirmer. L'hémorragie va-t-elle enfin s'arrêter ?

Les pronostics prévoyaient la fin de la baisse de fréquentation en France pour 1971. Malgré les résultats médiocres de 1969, l'optimisme est de rigueur, après l'excellent 1er semestre 1970. Petit à petit, les structures de l'industrie cinématographique évoluent : extension de l'exclusivité, multiplication des mini-salles, regroupement de celles-ci dans un périmètre commercial, création de cinémas dans les nouveaux centres de loisirs, abandon progressif des salles périphériques dans les grandes villes au profit de quelques points de fixation, modernisation accélérée des installations, progrès dans la programmation automatique, etc.

Quant au contenu des films, si le public fait encore la part belle aux genres classiques : drames policiers, comédies sentimentales, films de guerre, pantalonnades, on sent de plus en plus un glissement vers certains thèmes qui se retrouvent curieusement, comme un leitmotiv, chez des cinéastes appartenant à des pays très divers (il faut constater que la France n'est pas à la pointe de cette mode). Jamais le malaise d'une société ne semble s'être reflété avec autant de fidélité que dans ce nouveau cinéma contestataire qui monte à l'assaut de tous les écrans. Mais l'important est que l'attention de quelques grands créateurs ait été retenue.

Œil ouvert sur le monde : jamais le cinéma n'a mieux mérité sa définition.

Production 1969

– 154 films, dont 70 sont 100 % français et 49 en coproductions à majorité française et 35 coproductions à majorité étrangère.

– 148 films en couleurs sur les 154 films produits.

– Nombre de spectateurs (en millions) : 182 (contre 201,4 en 1968).

– Nombre de spectateurs à Paris dans les salles d'exclusivité : 53,85 % (contre 49,28 % en 1968), et dans les salles de quartier : 46,65 % (contre 50,72 % en 1968).

– Recettes taxables dans les salles d'exclusivité : 69,76 % (contre 66,59 % en 1968), et dans les salles de quartier : 30,24 % (contre 33,41 % en 1968).

– 292 salles classées Art et essai en janvier 1970.

– En octobre 1969, André Astoux est nommé directeur général du Centre national du cinéma.

– Extension de la TVA à l'exploitation le 1er janvier 1970 pour remplacer l'impôt sur les spectacles. Grâce à cette mesure, les salles bénéficieront d'une détaxation annuelle de 40 millions de francs.

France

Les chiffres sont parfois trompeurs. Production onéreuse, lancée à grand fracas publicitaire dans un circuit élargi, Borsalino, de Jacques Deray, qui s'est hissé péniblement à la tête du box-office, n'a pas remporté le succès prévu. Le même phénomène s'était déjà produit pour le Cerveau. La minable odyssée de deux petits gangsters arpentant le pavé de Marseille dans les années 30 (ce côté Scarface au pays de Marcel Pagnol) ne sert finalement que de prétexte à un duel au sommet entre Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. La réalisation est honnête, mais il manque l'étincelle sans lequelle un film policier n'est qu'un film aussitôt vu, aussitôt oublié.

Derrière ce leader contestable, les places d'honneur sont occupées par de nombreux films assez différents les uns des autres. Voilà qui devrait inciter les producteurs à l'optimisme. Triomphe d'Henri Verneuil avec un Clan des Siciliens habilement troussé, triomphe plus inattendu de René Clément avec le Passager de la pluie, qui a eu la chance de diriger deux vedettes soudainement très populaires (Marlène Jobert et Charles Bronson), triomphe, tout à fait imprévu celui-là, de Claude Sautet, dans les Choses de la vie, habile récit psychologique feutré, subtile broderie sur la banalité d'une vie brutalement anéantie par un accident de voiture.

Au pays de Kafka

Nouveau grand succès pour Costa-Gavras dans l'Aveu, où Yves Montand fait une création saisissante. Techniquement en progrès depuis Z, Costa-Gavras a eu l'immense mérite de s'attaquer à un sujet politique brûlant : le décervelage de l'homme par l'homme, qui conduit aux frontières de la folie. Que ce film se situe au pays de Kafka n'a pas manqué de susciter d'interminables controverses sur l'opportunité ou la rouerie de montrer sous un jour aussi cru les déviations d'un certain socialisme.