Journal de l'année Édition 1969 1969Éd. 1969

Marché commun

L'Europe cherche son second souffle

L'année 1968-69 aurait pu être une grande année européenne. Elle s'est ouverte, en effet, le 1er juillet 1968, par la suppression complète et définitive de tous les droits de douane entre les pays membres de la Communauté.

Ayant franchi cette étape décisive, le Marché commun pouvait s'engager dans une nouvelle phase de son existence. Il n'en a rien été, parce que la volonté politique de prendre appui sur ce premier succès a fait défaut.

En réalité, la mécanique communautaire s'était progressivement enrayée depuis plusieurs années, en raison de cette absence d'accord politique sur les grands objectifs de la construction européenne.

Les intérêts nationaux

Dans son rapport sur l'activité des communautés européennes en 1968, la Commission de Bruxelles a pu écrire : « La bonne volonté a été moins grande, les solutions de conciliation plus difficiles à dégager, l'affirmation d'intérêts purement nationaux ne s'est plus dissimulée. La mise au point des modalités de l'aide alimentaire à apporter aux pays en voie de développement, dont le principe avait été accepté par la Communauté en mai 1967, a duré un an et demi avant d'aboutir. Qu'il s'agisse de règlements agricoles, de règlements douaniers, de règlements de politique commerciale, les États membres ont pris trop souvent l'habitude de subordonner leur accord à la satisfaction d'intérêts immédiats, sans considération de l'intérêt de la Communauté prise dans son ensemble. »

Le refus persistant, jusqu'au départ du général de Gaulle, du gouvernement français d'envisager l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun ne pouvait naturellement qu'alourdir cette atmosphère. D'autant qu'au début de 1969 des confidences faites par le général de Gaulle à l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, Ch. Soames, ont pu donner à penser que la France mettait ses partenaires devant le choix suivant : ou bien le Marché commun continue et les Anglais n'y entrent pas, ou bien on élargit le Marché commun à la Grande-Bretagne et il cesse d'être une véritable communauté pour ne plus être qu'une simple union douanière.

L'accord d'association

Dans une telle atmosphère, les dossiers techniques ne pouvaient que progresser très lentement. Toutefois, la mise en place du marché unique pour tous les produits agricoles a pu se poursuivre. Des accords commerciaux ont été conclus avec la Tunisie et le Maroc au mois de mars 1969. En juin, la Communauté a renouvelé son accord d'association avec 18 pays africains et malgache, auxquels elle consent une aide de 5 milliards de francs en cinq ans. Les intéressés demandaient une aide de 7,5 milliards ; en outre, les subventions aux produits tropicaux sont supprimées, ce qui inquiète les producteurs d'oléagineux et de coton.

Enfin, les institutions européennes se sont ouvertes, pour la première fois, à des représentants d'organisations communistes, qu'il s'agisse de députés communistes italiens au Parlement de Strasbourg ou de syndicats à forte participation communiste, comme la CGT française et la CGIL italienne.

La défense du franc

La principale initiative prise par la Commission de Bruxelles pendant cette période a été le plan Mansholt, qui a remis en cause toute l'orientation de la politique agricole commune, sans déclencher beaucoup d'enthousiasme dans les gouvernements des Six.

La Communauté a, par contre, piétiné dans la crise d'Euratom et n'a pas encore tiré profit des crises monétaires à répétition pour obtenir un renforcement de la solidarité des pays membres dans ce domaine. Ses propositions en vue d'un tel renforcement (mise en commun d'une partie des réserves de change des pays de la Communauté) ont reçu un accueil poli sans déboucher sur des conclusions pratiques.

Lors de la crise du mois de novembre 1968, toutefois, la Commission de Bruxelles a joué un rôle efficace pour empêcher la dévaluation du franc. Non seulement parce qu'une telle dévaluation risquait de compromettre la politique des prix agricoles unifiés dans toute la Communauté, mais aussi parce que l'on craignait, à Bruxelles, que la France n'en rejette la responsabilité sur les Allemands, brisant ainsi le support essentiel de toute politique européenne : la réconciliation franco-allemande.

Le départ du général

Pour beaucoup d'observateurs, l'événement le plus important dans la vie de la Communauté, en 1968-69, aura été le départ de De Gaulle. On pense qu'ainsi se trouve écarté un obstacle à un nouveau lancement de l'unité européenne. Toutefois, les observateurs les plus lucides n'en attendent pas immédiatement des miracles. La situation économique et politique de l'Europe n'est plus en 1969 ce qu'elle était en 1950, lorsque la France a pris l'initiative du pool charbon-acier. Les veto du général de Gaulle ont souvent servi d'alibis aux autres pays pour justifier leur propre refus d'une plus grande solidarité.

La définition d'une nouvelle étape dans la construction de l'unité européenne demandera, de toute façon, du temps et se heurtera à des difficultés. L'Europe cherche toujours son second souffle.