Information

L'affaire du Figaro a largement dominé le monde de la presse au cours du deuxième trimestre de 1969. Ainsi, à l'occasion d'un conflit privé dont les origines véritables remontent à près d'un quart de siècle, s'est trouvé posé au grand jour un problème important : le rôle joué par les moyens d'information dans la société moderne. Voici le dossier de l'affaire.

Les origines

Le bail concédant depuis 1950 à une Société fermière la direction et la gestion du Figaro arrive à expiration le 14 mai 1969. En l'absence de tout accord entre les propriétaires et les rédacteurs sur la formation d'une nouvelle société de gestion, aucune disposition statutaire ne garantit plus, à cette date, les droits de l'équipe constituée par Pierre Brisson.

Le lundi 12 mai, les journalistes du Figaro lancent un mouvement de grève, qu'ils suspendront le 27 mai, après l'échec d'une nouvelle tentative de conciliation, puis la nomination d'un administrateur judiciaire.

La crise du Figaro n'est pas dénouée. Latente d'abord, lorsque la Société des rédacteurs, créée en 1965, s'était mise en travers des intentions de l'un des propriétaires, Jean Prouvost, concernant la direction du journal, elle avait pris, après trois ans, l'allure d'une épreuve de force. Pour la première fois depuis sa fondation en 1866, le Figaro était empêché de paraître, le 17 octobre 1969, par une grève de ses journalistes. Un arrêt de travail de vingt-quatre heures. Un simple coup de semonce, mais qui transportait le débat sur la place publique. Les incessantes négociations devaient s'accompagner désormais d'une assez vive polémique, mobilisant de grands principes : l'indépendance de la presse vis-à-vis du capital d'une part, la faculté d'exercer les prérogatives qui s'attachent au droit de propriété, d'autre part. Leur affrontement dépasse les seuls intérêts des parties au conflit.

Le droit de propriété d'un journal est-il divisible ? Les Sociétés de rédacteurs l'affirment. Les propriétaires de journaux le contestent. La loi ne tranche pas clairement.

Le cas du Figaro est typique de cette ambiguïté juridique. Mme Léon Cotnaréanu, qui avait reçu le journal en héritage de son premier mari, le parfumeur François Coty, était en Amérique quand Pierre Brisson, directeur de la publication depuis 1936, le saborda, en novembre 1942, dans la zone non occupée et obtint l'autorisation de reparaître à Paris en août 1944. Le Figaro prit alors un essor, eut un tirage et une audience qui n'étaient pas siens avant la guerre. Lorsqu'elle revint, à la fin de 1946, Mme Cotnaréanu entreprit de faire valoir ses droits de propriété, voulut révoquer Pierre Brisson et son équipe, mais en fut empêchée par une loi votée le 28 février 1947.

Une transaction

Ce texte, évidemment de circonstance, disposait que « sont et demeurent sans effet toutes revendications à l'encontre de ceux qui, en vertu de l'autorisation qu'ils ont reçue, à titre individuel ou collectif, de faire paraître un journal, en assurent l'administration, la direction ou la rédaction ». Il est toujours en vigueur.

Il fallut encore trois ans à Pierre Brisson pour convaincre Mme Cotnaréanu d'accepter une transaction : céder une partie du capital social à un partenaire que le directeur du Figaro lui désignerait. Au début de 1950, elle consentit à vendre la moitié de ses actions à la Société moderne d'information, le groupe de presse formé par Jean Prouvost — propriétaire de la Lainière de Roubaix et de Paris-Match — en association avec Ferdinand Béghin — sucrier et papetier.

En dehors du capitalisme

Alors fut formée la Société fermière du Figaro, dirigée par un conseil de sept membres, dont deux représentants seulement des propriétaires. Elle assurait à Pierre Brisson et à son équipe les pouvoirs les plus étendus sur le Figaro, le Figaro littéraire, le Figaro agricole. Aux propriétaires, elle apportait 95 % de résultats d'exploitation.

Les choses allèrent ainsi jusqu'à la mort de P. Brisson, le 31 décembre 1964. Quelques semaines avant, le directeur du Figaro avait écrit à J. Prouvost : « Je pense que la sauvegarde du Figaro, après moi, après vous, restera liée au maintien d'une Société fermière avec tous ses pouvoirs, en dehors du capitalisme et en accord avec lui. »