Steinlen, c'est l'époque de Bruant, de l'Assiette au beurre et du Gil Blas, celle aussi des Soliloques du pauvre, de Jehan Rictus. De la générosité et de la tendresse émue que Steinlen portait aux déshérités, les dessins qu'il donnait aux journaux en témoignent abondamment. Car, s'il fut surtout célèbre par les nombreuses images de chats qui assurèrent son premier succès, il était avant tout un chantre de la misère, le dénonciateur des injustices sociales. Ce Suisse exilé à Montmartre produisit beaucoup trop pour que tout soit d'égale qualité. Cependant, certaines de ses œuvres soutiennent heureusement la comparaison avec celles des plus grands de son temps.

André Masson (musée Cantini, Marseille, juillet - septembre 1968)

La renommée d'André Masson ne cesse de grandir depuis quelques années, même au-delà des frontières. S'il en fallait une preuve nouvelle, on a pu la trouver dans la rétrospective de son œuvre (quatre-vingts tableaux et dessins) présentée à l'occasion de son soixante-douzième anniversaire. On y a peut-être un peu sacrifié l'œuvre graphique, dessins et gravures. Cependant, on retrouvait là une bonne vue cavalière de ses travaux depuis 1922, époque où il découvrit le surréalisme.

Rencontre capitale pour l'artiste, il demeura toujours fidèle à cette voie, malgré l'anathème majeur prononcé contre lui en 1929 par André Breton, dans le Second Manifeste du surréalisme, gardien sourcilleux de l'orthodoxie. À travers les vicissitudes de ses recherches, les formes différentes de son art, de l'expressionnisme des courses de taureaux à l'abstraction, l'esprit surréaliste subsiste toujours. Il est poussé à exprimer le domaine secret de l'inconscient. C'est là sans doute le fil conducteur, la constante de son œuvre, par ailleurs assez déconcertante par sa diversité. Ses recherches, successives et parfois même simultanées, les inventions techniques — comme la peinture au sable — témoignent à la fois d'une révolte contre les traditions picturales et en même temps d'un tempérament lyrique soucieux des vérités derrière les apparences.

La Librairie de Charles V (Bibliothèque nationale, Paris, 2 octobre - 31 décembre)

À six cents ans de distance, la librairie de Charles V a été partiellement reconstituée. Des 1 000 manuscrits qu'il fit transférer dans une tour du Louvre, en 1368, une centaine, parmi les plus beaux, se trouvaient rassemblés.

Cette collection de manuscrits à peintures — le plus ancien remontait aux environs de 1250 — constituait un remarquable résumé de l'évolution de la miniature durant plus d'un siècle. On y trouvait des pièces prestigieuses, comme le Psautier de Peterborough, les Miracles de Notre-Dame enluminés par Pucelle, le Livre du sacre, les Grandes Chroniques de France et la Bible de Jean de Sy. On y trouvait également — la librairie de Charles V était aussi un cabinet d'art — d'admirables camées anciens, des monnaies, le célèbre Parement de Narbonne, trois pièces de la tapisserie de l'Apocalypse d'Angers. Manuscrits et objets d'art formaient un ensemble d'un intérêt et d'une qualité exceptionnels.

Aujourd'hui dispersée dans des musées et des bibliothèques de France et de l'étranger, la librairie de Charles V, dans l'esprit de son propriétaire, devait constituer la base d'une institution permanente, que ses successeurs devaient enrichir ; en fait, ce qu'allaient être plus tard la Bibliothèque royale, puis la Bibliothèque nationale.

Baudelaire (Petit Palais, Paris23 novembre - 17 mars)

L'exposition Baudelaire, hommage qui a marqué le centenaire de la mort de l'auteur des Curiosités esthétiques, a été une sorte de musée éphémère du temps retrouvé. On y a célébré surtout le critique d'art, mais ni l'homme, ni l'écrivain, ni le poète, ni le traducteur n'ont été oubliés ; sans doute, pour mieux faire sentir les composantes d'une sensibilité dont le prestige demeure encore très vivace aujourd'hui. On a pu confronter (on devrait dire apprécier) les jugements artistiques de Baudelaire avec les toiles qui les ont inspirés. Une partie de l'exposition groupait chronologiquement les œuvres qui sont devenues les prétextes des chapitres des Curiosités. À voir se succéder les Salons, les graveurs, les caricaturistes, les peintres, les artistes, le temps était retrouvé. Et ce musée éphémère permettait non seulement de faire connaissance avec de nombreux chefs-d'œuvre venus des musées français ou étrangers et des collections particulières, mais aussi de découvrir des peintres maintenant complètement oubliés. Oubli souvent mérité, même si Baudelaire s'enthousiasma pour certains d'entre eux, comme, par exemple, William Haussoulier et sa pâteuse Fontaine de Jouvence.