Dès lors, on ira vite de l'autodétermination promise à l'idée de négociation, mais il faudra trois ans encore avant sa conclusion. La semaine des barricades d'Alger, en janvier 1960, révolte des éléments les plus engagés des « pieds-noirs », agira comme un révélateur. L'appel aux pourparlers est lancé le 14 juin de la même année. Un premier contact, pris à Melun, échoue, mais le fil sera bientôt renoué. Le référendum du 8 janvier 1961 adapte par avance les textes constitutionnels à la paix future. Le putsch des généraux d'Alger, en avril 1961, loin de freiner la marche vers la négociation, l'accélère ; son effondrement, l'arrestation des chefs du coup de force laissent le champ libre.

La recherche de la paix, entamée à Évian le 20 mai, connaîtra encore bien des vicissitudes. L'aboutissement sera, à travers les accords de mars 1962, la porte ouverte sur l'indépendance, qui deviendra effective le 1er juillet suivant, après que la métropole eut approuvé sans joie, mais avec soulagement, par 90 % des voix, la solution intervenue. Six mois de terrorisme, de violence, aveugle ou désespérée, les « nuits bleues » de Paris, ponctuées d'explosions, les attentats et les batailles de l'OAS en Algérie, la répression, les « soldats perdus », l'épuration de l'armée, le rapatriement et l'accueil en métropole de plus d'un million de Français d'Algérie chassés de leur terre, dépouillés de leurs biens, les morts, les souffrances, l'amertume, tel sera le prix à payer. Mais la France, pour la première fois depuis un quart de siècle, est désormais en paix. On ne tue plus et on ne meurt plus en son nom.

La décolonisation de l'Afrique noire avait été beaucoup plus rapide et nullement sanglante. À l'exception de la Guinée, qui, répondant « non » au référendum de 1958, s'était exclue de la Communauté, des relations privilégiées s'établissaient entre les treize républiques francophones d'Afrique devenues indépendantes et la France.

À cause d'elles, pour elles, et bientôt aussi pour d'autres pays à travers la planète, l'aide française représentera le plus fort pourcentage du revenu national consacré au tiers monde par une des grandes nations, Amérique comprise. La forme, la répartition de cette aide, la coopération connaîtront des fortunes diverses, des traverses, des déconvenues et aussi des succès. Des conflits éclateront, les critiques ne manqueront pas. Les quatre départements d'outre-mer, les six territoires, dernières taches roses sur la planisphère qui rappellent ce que fut jadis l'Empire français, poseront aussi bien des problèmes. Cependant, un mouvement de sympathie retrouvée, un prestige incontestable, une autorité accrue dans le débat mondial donneront à la France, pour des millions d'hommes dans le monde, un visage nouveau, pacifique et serein.

La diplomatie et la défense

S'il avait opté d'abord pour la réforme des institutions, s'il avait dû ensuite s'attacher par priorité à résoudre le problème algérien, de Gaulle devait faire néanmoins, d'un bout à l'autre de son règne, de la diplomatie et de son corollaire la défense son domaine de prédilection. Dernier survivant encore au pouvoir des Grands de la Seconde Guerre mondiale, après la disparition de Staline, la retraite, puis la mort de Churchill et d'Eisenhower, il avait même duré politiquement plus que nombre de gouvernants de l'après-guerre. Il avait vu surgir, s'affirmer, puis s'effacer ou disparaître Truman et Kennedy aux États-Unis, Attlee, Éden et MacMillan en Grande-Bretagne, Malenkov et Khrouchtchev en Union soviétique, Adenauer et Erhard en Allemagne, et bien d'autres. Deux mots clefs domineront et résumeront une expérience exceptionnelle, ainsi que toute sa politique militaire et extérieure : grandeur et indépendance.

Au nom de la grandeur et pour assurer l'indépendance, il bouleversera trois données fondamentales de la diplomatie française de l'après-guerre : la France quittera par étapes l'Organisation atlantique, et ses relations avec les alliés américains et anglais traverseront des moments difficiles ; elle s'assurera la possession de l'arme nucléaire, puis thermonucléaire ; elle réorientera vers l'Est sa recherche de l'entente et de la coopération, se rapprochant notablement de l'Union soviétique, des républiques populaires et reconnaissant la Chine communiste.