L'année 1968 a donc commencé dans un climat de stabilité. La preuve en est que la généralisation, au 1er janvier, de la TVA chez tous les commerçants n'a pas provoqué la flambée des prix que beaucoup redoutaient. Après avoir augmenté de 1 % en janvier, l'indice des prix a retrouvé son calme dès février.

La césure de mai

C'est dans ce climat que s'est produite l'explosion de mai-juin. Aux accords de Grenelle conclus par le gouvernement, le patronat et les syndicats, le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est relevé d'un tiers, passant de 2,20 F à 3 F de l'heure dans toute la France (soit une rémunération mensuelle de 520 F pour 40 heures de travail par semaine) ; l'ensemble des salaires est majoré de 10 % (entre le début et la fin de l'année) ; dans le secteur public et nationalisé, l'augmentation sera plus forte, afin de combler le retard sur le secteur privé.

Une première estimation, à la fin du mois de juin, a situé l'augmentation globale des salaires à près de 13 %, soit, en une seule année, l'augmentation généralement obtenue en deux ans depuis la politique de stabilisation. Les effets sur les prix devaient dépendre de la concurrence étrangère, de l'empressement des Français à dépenser leurs augmentations de revenus et des gains de productivité susceptibles d'être réalisés dans les entreprises.

Sécurité sociale

Équilibre précaire malgré la réforme

C'est avant tout pour réformer la Sécurité sociale que le gouvernement a demandé, le 17 mai 1967, des pouvoirs spéciaux.

La gravité du déficit imposait une intervention d'autant plus rapide que le même gouvernement avait, à plusieurs reprises, repoussé l'échéance : les élections présidentielles de décembre 1965, les élections législatives de mars 1967 ont incité Georges Pompidou à laisser dormir dans ses tiroirs un dossier enrichi par de nombreux rapports d'experts.

Encore pouvait-on s'attendre à ce que les quatre ordonnances du 21 août abordent les choses au fond. En réalité, la dégradation de la situation financière du régime général a gravement pesé sur les caractères de la réforme. Le premier souci a été de rétablir l'équilibre financier, plutôt que de refondre un système vieux de vingt ans et né dans les circonstances particulières au lendemain de la guerre.

Jean-Marcel Jeanneney, le ministre des Affaires sociales, n'a jamais caché que la réforme mise au point par ses services ne constituait à ses yeux qu'un compromis transitoire, et vraisemblablement précaire, entre les exigences du budget et la nécessité de doter la France d'une politique de la santé adaptée à l'évolution du progrès technique et social.

Dégradation du système

Créé en octobre 1945, sous la direction d'un membre du Conseil d'État, Pierre Laroque, le régime général de sécurité sociale avait quatre buts :
– permettre à l'ensemble des ménages de salariés un accès égal aux soins ;
– garantir un revenu de remplacement à ceux que la maladie, l'accident ou la vieillesse empêchent de travailler ;
– améliorer la justice sociale par une certaine redistribution des ressources nationales, en prélevant davantage sur les plus fortunés ;
– apporter un soutien aux ménages désirant une famille nombreuse.

Ainsi, le maître mot du système, issu en grande partie des courants de pensée de la Résistance, était solidarité. En outre, le système était agencé de telle sorte qu'il devait être géré de façon autonome et démocratique par les représentants des assurés.

La Sécurité sociale n'a pas évolué exactement selon les vœux de ses initiateurs, si bien que le débat qui a entouré sa réforme a pu prendre l'aspect d'une alternative : pour certains, il fallait retrouver l'esprit initial ; pour d'autres, il fallait faire tout autre chose.

Régimes spéciaux

L'égalité devant l'accès aux soins avait subi diverses limites : le système du conventionnement, dans le cadre de l'exercice libéral de la médecine, a, en fait, créé deux catégories de médecins : ceux dont les soins aux assurés sociaux sont remboursés à 80 %, et les autres, non conventionnés, pour lesquels le remboursement n'atteint même pas 30 % dans certains cas ; l'utilisation des thérapeutiques les plus modernes n'a pu être pleinement développée tant en raison de leur coût que de l'insuffisance de l'équipement hospitalier.