Chronique judiciaire

Le criminel de La Guerche avait écrit à la justice : « vous accusez deux innocents »

Le crime pour lequel la cour d'assises du Cher, vers la fin du mois d'octobre, a condamné Ernest Rodric à la réclusion criminelle à perpétuité est assez banal dans les annales judiciaires : l'accusé avait assassiné à coups de barre de fer, près de La Guerche-sur-l'Aubois, un employé de la Société générale en tournée, M. Segrétin, pour s'emparer d'une somme de 2 000 F ; après quoi il avait fait brûler près d'un bois la voiture et le corps de la victime. Mais ce qui sort de l'ordinaire, c'est que deux innocents, Mme Monique Caze et le gendarme Barrault, avaient bien failli se trouver dans le box à la place de Rodric...

L'affaire, qui illustre la fragilité des témoignages, la légèreté de l'opinion, les faiblesses de certaines enquêtes policières et les incertitudes de la justice, a légitimement ému.

Pour Monique Caze, tous ses malheurs ont commencé lorsqu'elle voulut apporter un témoignage propre à éclairer les policiers qui, au lendemain du crime — commis le 2 novembre 1965 — recherchaient le coupable. La déposition, bien que sincère, intrigua. Où était-elle donc au moment du meurtre, lui demanda-t-on ? Elle répondit — ce qui était vrai — qu'elle se trouvait avec son amant, le gendarme Barrault. Celui-ci démentit : il ne voulait pas que sa liaison fût connue. Pourtant, le gendarme n'allait pas tarder à devenir lui aussi suspect. N'avait-il pas été appelé à procéder lui-même à certaines constatations lorsqu'on découvrit la voiture volée de M. Segrétin ? N'avait-il pas mis au courant son amie de l'évolution des recherches ? De fil en aiguille, de présomption en présomption, d'accusation en accusation portées par la vox populi, le couple se retrouva en prison et inculpé.

Par bonheur, le juge d'instruction — une femme, Mlle Chouvelon — fut frappé par les dénégations de Monique Caze et du gendarme, et eut des doutes sur le sérieux de l'enquête menée par les policiers. Après deux mois et demi de détention, les deux amants furent relâchés.

Rodric (qui ne sera arrêté qu'en octobre 1966) avait, pendant ce temps-là, il faut le reconnaître, fait ce qu'il pouvait pour montrer à la justice qu'elle suivait une fausse route. Il alla même, dans ce dessein, jusqu'à lui adresser une lettre anonyme. Ce geste de bonne volonté fut évoqué aux assises du Cher. Mais brièvement. La justice fit tout pour éviter que ce procès devînt le sien. L'avocat général s'opposa à ce qu'on parlât de l'enquête qui amena l'arrestation de Mme Caze et du gendarme Barrault. La défense protesta : On tient Rodric pour responsable des malheurs de deux innocents. Cela peut impressionner les jurés. »

Ces derniers accordèrent, en fin de compte, les circonstances atténuantes. Au moment du verdict, Mme Caze était dans la salle : « Même avant mon épreuve, je n'étais personnellement pas pour la peine de mort », confia-t-elle. Cette sérénité est méritoire. La jeune femme avait un époux et des enfants qui ont été éclaboussés et meurtris par le scandale. La ruine de sa réputation a également entraîné celle du commerce du mari, qui était photographe à La Guerche.

Obtenir réparation de la presse qui l'avait diffamée ? Monique Caze l'a tenté. Mais c'est bien difficile. Aussi l'affaire a-t-elle servi à remettre sur le tapis la question du secret de l'instruction en France. Un vieux problème...

La catastrophe du boulevard Lefebvre

Vingt morts, dix-huit blessés : il a fallu quatre ans à la Justice pour établir les responsabilités dans la catastrophe du boulevard Lefebvre et pour se prononcer. Dans ses attendus rendus à la mi-janvier, la sixième Chambre du tribunal correctionnel de la Seine a souligné le défaut de contrôle et de coordination des travaux dans l'immeuble en construction qui s'était effondré le 15 janvier 1964. Au cours du procès, qui a occupé plusieurs audiences au mois de novembre 1967, les juges ont entendu de nombreux experts, qui ont dénoncé l'absence d'un conducteur de travaux averti. Le substitut, pour sa part, a demandé des peines proportionnelles à la position hiérarchique des inculpés. Parmi ceux-ci — ils étaient dix —, on comptait trois architectes. Le jugement comporte des amendes allant de 2 000 à 20 000 francs et des peines de prison avec sursis s'échelonnant de deux à huit mois.

Tout cela laisse apparaître combien il est difficile, dans ce genre d'affaires, d'établir les responsabilités et de prononcer des sanctions en rapport avec les malheurs causés.