Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

Les courses

Vogue croissante du tiercé

Une jument, qui n'est même pas un pur-sang, et un petit homme taciturne ont marqué de leur présence et de leur classe la saison hippique : Roquépine et Yves Saint-Martin.

La première, âgée de six ans, a déjà rapporté plus de deux millions et demi de francs à son heureux propriétaire-entraîneur, Henri Levesque, battant ainsi le record des gains pour un trotteur, jusque-là détenu par la populaire Ozo. Véritable métronome, la nouvelle reine de Vincennes a gagné partout dans le monde : aux États-Unis, en Suède, en Allemagne, en Italie... Les rares défaites qu'elle a connues (Championnat du monde à New York, Prix de France à Vincennes) sont dues soit à la malchance, soit à des fautes tactiques, et n'ont pu ternir son incomparable palmarès, qui en fait sans aucun doute le plus grand trotteur qu'on ait connu.

Yves Saint-Martin, vingt-cinq ans, indéracinable cravache d'or depuis 1962, est un cas à part. Sa prodigieuse réussite (170 victoires en 1966), son habileté à s'adapter à sa monture et au déroulement de l'épreuve, le complexe dont semblent souffrir ses concurrents, posent d'insolubles problèmes aux turfistes et aux tiercéistes, qui ne sont pas près d'oublier ses cinq tiercés consécutifs du mois de mai 67 (3 victoires et 2 places de second). Chaque dimanche matin, pendant la saison de plat, 3 millions de Français se posent inlassablement la question : faut-il jouer avec ou contre Saint-Martin ?

Pas de grande vedette

En revanche, aucun pur-sang ne s'est imposé de façon indiscutable, comme avaient pu le faire les Sea Bird, Reliance ou Exbury les années précédentes. Car, pour 1966, il est difficile de départager Bon Mot (Prix de l'Arc-de-Triomphe) de Danseur (Grand Prix de Paris) ou de Nelcius (prix du Jockey Club) ; encore que Béhistoun, qui s'en alla gagner, en novembre, le Washington DC, la plus grande épreuve américaine, ait été considéré un moment comme leur étant supérieur. La victoire de Béhistoun, qui devait décevoir par la suite, fut surtout la victoire de son jockey, Jean Deforge, étonnant spécialiste de la course d'attente. À 500 m de l'arrivée, il comptait une quarantaine de mètres de retard et avait course perdue. Une ligne droite époustouflante le porte en tête 30 m avant le poteau, qu'il passe avec deux longueurs d'avance sur le concurrent russe (d'origine américaine) Anilin. C'est la cinquième victoire d'un cheval français au Washington DC.

Le premier semestre 67 n'a pas vraiment révélé de super-crack. Roi Dagobert (prix Lupin) et Astec (prix du Jockey Club) semblent les mieux armés pour assurer la relève de Sea Bird.

L'obstacle

Le même phénomène se retrouve en obstacles. La valeureuse Hyères III partie au haras, après avoir remporté trois années de suite le Grand Steeple Chase de Paris, plusieurs chevaux sont candidats à sa succession, qu'il est difficile de départager : Cacao, Weather Permitting, Rivoli, voire Kalioussa ou Haroué.

Il faut signaler les rapports contradictoires qu'a connus l'élevage français avec la mère patrie du pur-sang, l'Angleterre. Au printemps 1966, Anglais et Irlandais, prétextant quelques cas de fièvre des marais dans nos centres d'entraînement, fermèrent leurs portes aux chevaux venant de France. Le ban ne fut levé qu'en novembre, alors que la saison des courses était pratiquement terminée. Six mois plus tard, Sa Majesté la reine Elisabeth honorait l'élevage français de sa visite au cours d'un voyage privé. Invitée du duc d'Audiffret-Pasquier en son château de Sassy, la reine, dont on connaît la passion pour les courses — son écurie compte une trentaine de pur-sang —, devait visiter plusieurs des grands haras français.

Le trot

Au trot, derrière l'inaccessible Roquépine (prix d'Amérique), Querido II a confirmé, pour sa dernière saison de compétition, sa grande régularité, aussi bien au monté (prix Cornulier) qu'au sulky (prix de France et prix de Paris) ; Oscar RL, compagnon d'écurie de Roquépine, une fois de plus a terminé deuxième au prix d'Amérique ; Toscan s'est imposé comme le meilleur de nos 4 ans et comme le successeur probable de Roquépine. Mais le trot a surtout continué à battre des records au tiercé : celui des enjeux (63 644 241 F pour le prix d'Amérique) et celui du plus gros rapport, 67 510,50 F pour 3 F, avec l'arrivée Sagittaire-Reine d'Alout-Skikda dans le prix du Croisé-Laroche, couru le 1er janvier 1967. Un début d'année prometteur.

La vogue du tiercé

Le tiercé a confirmé sa vogue croissante. Les Français, en 1966, y ont engagé 3 milliards et demi (en moyenne : 51 millions par tiercé), soit une augmentation de 15 p. 100 par rapport à l'année précédente. Et cela malgré plusieurs campagnes d'origines diverses, tendant à le limiter. L'État y a largement trouvé son compte, puisque sur 3 milliards et demi il a prélevé 886 millions, dont 200 millions ont été reversés à l'élevage et à l'organisation des courses. Grâce à cette manne, les épreuves françaises sont, et de loin, les mieux dotées du monde et deviennent, particulièrement au trot, un pôle d'attraction pour toutes les écuries d'Europe, voire d'Amérique.