Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

néo-impressionnisme

Tendance picturale de la fin du xixe s., qui prolonge l’impressionnisme* avec une technique nouvelle.


L’appellation néo-impressionnistes est employée pour la première fois par le critique Félix Fénéon (1861-1944) dans la revue bruxelloise l’Art moderne du 19 septembre 1886. Elle sert à désigner des artistes groupés autour de Georges Seurat*, qui ont pour préoccupation essentielle la transcription de la lumière et l’harmonie des couleurs — comme les impressionnistes —, mais utilisent des méthodes radicalement différentes. Ce qui caractérise essentiellement leur style, c’est l’emploi de touches de couleur divisées et de formes diverses (points, carrés et rectangles, virgules, etc.). Ce procédé les a aussi fait surnommer « divisionnistes » ou encore « pointillistes ». Le second terme est rejeté par la plupart des artistes du groupe néo-impressionniste, car il tend à donner une idée fausse de leur doctrine.

En réalité, les néo-impressionnistes ne sont pas les premiers dans l’histoire de la peinture à avoir eu l’idée d’appliquer sur leurs toiles des touches de couleurs divisées. Les mosaïques utilisent après tout le même procédé, qui apparaît épisodiquement dans les œuvres de bien des peintres du Moyen Âge et des Temps modernes. Eugène Delacroix* est le premier artiste qui ait analysé et employé avec méthode les touches divisées, dans des tons purs. Mais c’est le mérite de Seurat d’avoir systématisé et codifié cette division de la touche en s’inspirant des travaux sur la couleur et ses phénomènes réalisés par des savants comme Eugène Chevreul (1786-1889), Helmholtz*, Ogden Nicholas Rood (1831-1902) ou Charles Henry (1859-1926).

Seurat constate qu’à une certaine distance des points voisins de couleurs différentes se trouvent mélangés au niveau de la rétine de l’œil. Ce « mélange optique » suscite selon lui des luminosités beaucoup plus intenses que le mélange des pigments (théorie des « contrastes simultanés »). Tel est le point de départ, quelles que soient ensuite les conséquences qu’en tirera tel ou tel artiste, à travers son propre pouvoir créateur.

Les premiers tableaux de Seurat exécutés sur ces bases techniques datent de 1884-85. Dès 1891, le groupe néo-impressionniste se dispersera, et chacun de ses membres travaillera isolément. Seurat et Paul Signac participent en 1886 à la dernière exposition des impressionnistes, après avoir fondé en 1884 le Salon des indépendants. Les néo-impressionnistes exposent également, en groupe ou isolément, avec le groupe des Vingt et au Salon de la libre esthétique de Bruxelles, animés par Octave Maus. Ils seront ensuite patronnés par les grandes galeries parisiennes (Durand-Ruel et Bernheim-Jeune surtout).

Outre Seurat et Signac, Charles Angrand, Henri Cross, Albert Dubois-Pillet, Maximilien Luce sont au premier rang du mouvement. Mais bien d’autres artistes doivent être cités, tels les Français Lucie Cousturier (1876-1925), Léo Gausson (1860-1942), Achille Lauger (1861-1944), Henri Le Sidaner (1862-1939), Henri Martin (1860-1943), Hippolyte Petitjean (1854-1929), Camille Pissaro, vers la fin de sa carrière, et son fils Lucien (1863-1941), les Belges Adriaan Joseph Heymans (1839-1921), Georges Lemmen (1865-1916), Théo Van Rysselberghe (1862-1926), les Italiens Pietro Mengarini (1869-1924) et Giovanni Segantini (1858-1899).

La plupart d’entre eux abandonnent plus ou moins vite les principes très rigoristes de Seurat pour revenir à un art plus libre, préservant leur inspiration et leur originalité. C’est ainsi qu’ils osent associer les touches divisées aux larges aplats de couleurs complémentaires, que Henri Martin (décorations du Capitole de Toulouse et de l’Hôtel de Ville de Paris) et Mengarini (Nu à la fenêtre, 1905, musée du Petit Palais, Genève) donnent à ces touches un dynamisme extraordinaire, les faisant vibrantes et spiralées. Si Henri Martin introduit le divisionnisme dans l’art officiel, Van Rysselberghe est le portraitiste du groupe : dans la Lecture (1903, musée des Beaux-Arts de Gand), il montre Verhaeren* lisant ses poèmes aux symbolistes.

L’influence du néo-impressionnisme est immense. Van Gogh* en prend connaissance durant sa période parisienne, et Gauguin*, dans un monotype de 1891 (Tahitienne, musée des Beaux-Arts de Grenoble), utilise la technique des points de couleurs primaires. Elle est reprise — mais librement — par le fauvisme* : Valtat l’emploie, surtout en 1895, Matisse et Derain à Collioure en 1904 et 1905, et de même Vlaminck, Dufy, Marquet, Manguin, Van Dongen et Braque. Les artistes du futurisme*, eux aussi, ont eu une phase divisionniste. C’est ainsi que les premières études de mouvement de Balla et de Severini sont dans la continuité des recherches néoimpressionnistes de décomposition de la lumière (Balla : Petite Fille marchant sur un balcon, 1912, musée d’Art moderne de Milan). Delaunay* et les orphistes ont reconnu leur dette envers Seurat et les savants dont celui-ci s’était inspiré. Bonnard* utilise également la technique des points ou bâtonnets de couleur dans certaines de ses toiles. Ce ne sont là que des exemples pris parmi bien d’autres.

B. C.

 I. Compin, Henri-Edmond Cross, 1859-1901 (Quatre Chemins Editart, 1964). / F. Fénéon, Au-delà de l’impressionnisme (Hermann, 1966). / J. Rewald, le Post-Impressionnisme (A. Michel, 1961). / R. L. Herbert, Neo-impressionism, catalogue de l’exposition du Solomon Guggenheim Museum (New York, 1968). / J. Sutter (sous la dir. de), les Néo-impressionnistes (Bibl. des arts, 1970). / F. Cachin-Nora, Paul Signac (Bibl. des arts, 1971). / J. Sutter, Luce, les travaux et les jours (Bibl. des arts, 1971).


Quelques disciples de Seurat


Charles Angrand

(Criquetot-sur-Ouville 1854 - Rouen 1926) est l’un des fondateurs du Salon des indépendants avec Seurat et Signac. Sa période divisionniste est courte, et les œuvres de cette époque sont rares et très recherchées : l’Inondation de la Grande Jatte, 1887, et la Seine à l’aube, 1889 (musée du Petit Palais, Genève). Il est surtout un pastelliste (la Maison blanche, musée national d’Art moderne, Paris) et un dessinateur réputé (dessins tramés en blanc et noir dégradés).


Henri Cross,