Mandelstam (Ossip Emilievitch) (suite)
De 1925 date un volume de souvenirs, Choum vremeni (le Bruit du temps), dans lequel Mandelstam essaie de capter le mouvement de l’histoire à travers ses impressions d’enfance. Il les rattache par la suite à la nouvelle Eguipetskaïa marka (le Timbre égyptien, 1928). Son héros, Parnok, est tout ensemble un double du poète et un émule contemporain du petit fonctionnaire pétersbourgeois des nouvelles de Gogol. Déconcertante par sa structure associative, cette nouvelle est une rupture totale avec la prose narrative traditionnelle, dont le xxe s. a, selon Mandelstam, sonné le glas. La même année 1928 paraît O poezii (De la poésie), suite de brillants essais critiques remplis d’intuitions pénétrantes sur les problèmes du langage et de la culture. Les qualités de la prose de Mandelstam, l’originalité de son rythme et de ses images se retrouvent dans les notes de voyage que l’auteur publie en 1933 après un séjour en Arménie.
Mais, déjà, la plupart des critiques soviétiques lui font grief de s’en tenir à une conception de la littérature qu’ils jugent dangereuse et dépassée. De plus en plus isolé dans le monde littéraire, Mandelstam en est réduit, pour assurer sa subsistance, à des travaux de traduction. Son œuvre poétique de 1928-1932 paraît éparse dans quelques revues. Ses vers traduisent la désespérance d’un poète qui ne peut se résigner à son isolement et à sa solitude morale.
En mai 1934, la police découvre un poème satirique sur Staline, qui vaut à son auteur trois ans d’exil dans l’Oural. À la suite d’une tentative de suicide, Mandelstam est autorisé à demeurer à Voronej. C’est là qu’il compose, d’avril 1935 à mai 1937, près d’une centaine de poèmes (les trois Cahiers de Voronej), publiés d’abord à l’étranger, puis, en 1972, dans la première édition posthume de ses œuvres. Dans cette dernière œuvre, Mandelstam parachève une évolution qui l’éloigné de plus en plus du néo-classicisme élégant de Kamen et de Tristia : son art y gagne à la fois en rudesse et en raffinement, la hardiesse des néologismes, la vigueur elliptique des constructions, la spontanéité des intonations allant de pair avec une soumission plus aveugle au génie du langage, aux associations sonores, aux caprices du rythme. Mandelstam apparaît parfois ici comme un héritier des tendances extrêmes du futurisme russe.
De retour à Moscou en mai 1937, il est une seconde fois arrêté l’année suivante. Il meurt lors de son transfert dans un camp de concentration d’Extrême-Orient.
M. A.
N. Mandelstam, Hope against Hope (New York, 1970 ; trad. fr. Contre tout espoir, Gallimard, 1972-1975 ; 3 vol.). / J. Blot, Ossip Mandelstam (Seghers, 1972).