Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XV (suite)

➙ Bourbon / Canada / Choiseul / Empire colonial français / Encyclopédie / Inde / Jansénisme / Lumières (esprit des) / Pompadour (marquise de) / Régence / Sept Ans (guerre de) / Succession d’Autriche (guerre de la).

 P. Gaxotte, le Siècle de Louis XV (Fayard, 1950). / H. Méthivier, le Siècle de Louis XV (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1966 ; 2e éd., 1968). / R. Mandrou, la France aux xviie et xviiie s. (P. U. F., coll. « Nouvelle Clio », 1967). / P. Goubert, l’Ancien Régime, t. I : la Société (A. Colin, 1969). / M. Antoine, le Conseil du roi sous le règne de Louis XV (Droz, Genève, 1970). / F. Braudel et E. Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, t. II : Des derniers temps de l’âge seigneurial aux préludes de l’âge industriel, 1660-1789 (P. U. F., 1970). / J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire, 1715-1774 (A. Colin, 1970). / A. Soboul, la Civilisation et la Révolution française, t. I : la Crise de l’Ancien Régime (Arthaud, 1970). / A. Corvisier, Précis d’histoire moderne (P. U. F., 1971).

Louis XV (styles Régence et)

Jusqu’à sa mort en 1690 et dans la demi-disgrâce où le plaçait Louvois*, successeur de Colbert depuis 1683, Le Brun* avait maintenu le formulaire classique.


Mais déjà, au sein même de l’Académie* royale, se manifestait, propagée par Roger de Piles, l’influence du rubénisme. Les auxiliaires mêmes de Le Brun, Noël Coypel*, Charles de La Fosse*, Adam Frans Van der Meulen, se libéraient d’un joug spirituel devenu importun. La conjoncture, d’ailleurs, favorisait la révolution des arts. Mort en 1691, Louvois était remplacé, pratiquement, par le Premier architecte, Jules Hardouin-Mansart*, secondé par son beau-frère Robert de Cotte*. Les deux maîtres étaient d’un esprit tout autre que les classicisants de la génération passée. L’esthétique de l’« éternel solennel » — mot de Sainte-Beuve — est abandonnée ; les mascarons se font souriants, les trophées se composent avec fantaisie, et l’institution qui perpétuait les formules du « Grand Siècle » disparaît : en 1694, faute de crédits, le roi se résout à fermer la Manufacture royale des meubles de la Couronne ; elle rouvrira ses portes en 1699, mais réduite aux seuls ateliers de tapisserie (v. Gobelins). La pénurie du Trésor oblige Louis XIV à prohiber l’emploi de l’or dans la décoration : les meubles et les lambris sculptés seront, dès 1691, vernis ou peints, ce dont résulte un sensible changement d’optique. D’autre part, dès les premières années du xviiie s., et en dépit de la sujétion jalouse où le roi tenait la Cour, nombre de seigneurs faisaient réaménager leurs palais parisiens. Du jour au lendemain, dès la mort de Louis, Versailles sera déserté.

La vie de cour appliquait un rituel immuable et rigoureux ; dans les palais et les hôtels de la noblesse, dès 1715, une vie tout autre s’organise, une vie de compagnie qui, tout en respectant les préséances, accorde aux dames une primauté de plus en plus nette. L’architecture civile avait tout sacrifié à la grande galerie de réception : en 1722, la duchesse de Bourbon, fille, de Louis XIV, fait élever un hôtel (le futur Palais-Bourbon) distribué en « petits appartemens » selon un principe de commodité. L’exemple est largement suivi. Bientôt, les traditionalistes s’alarmeront. Marc Antoine Laugier, en son Essai sur l’architecture (1753), le marquis de Mirabeau — le père du grand orateur —, Voltaire lui-même déplorent l’amenuisement des salons et l’abandon du « grand goût » en faveur des frivolités. Ces oppositions restent vaines : l’évolution du décor intérieur reflète celle des mœurs. En son domaine de Sceaux, la duchesse du Maine reçoit sur un pied d’égalité « la naissance et les talents ». À ces dispositions et à ces usages nouveaux va répondre un mobilier d’une échelle et d’un caractère tout autres que ceux du Grand Siècle. Les majestueuses tables de milieu aux croisillons d’entrejambes richement sculptés font place à des tables au piétement léger, les vastes fauteuils s’allègent en tous sens. Au style Lepautre* succède un style inspire des ornemanistes de la Régence, Claude III Audran*, Claude Gillot (1673-1722), Watteau* lui-même.

Les jeunes artistes, architectes, peintres, sculpteurs envoyés à Rome « à la pension du roi » subissent naturellement l’influence du renouvellement des idées. Ils s’attachent moins à mesurer les monuments romains qu’à découvrir les chefs-d’œuvre de la Renaissance. L’un d’eux, Gilles Marie Oppenordt*, fils de l’émule de Boulle, revenait à Paris converti au « baroque » de Borromini* ; Philippe d’Orléans, le futur Régent, le choisit pour son architecte ordinaire. Ses dessins sont pourtant d’une tempérance qui était peu propre à susciter une révolution de l’esthétique. C’est un orfèvre de Turin, Juste Aurèle Meissonnier (1695-1750), arrivé à la maîtrise à Paris en 1724 et nommé dessinateur des Menus Plaisirs, qui la détermina. En 1726, il prenait part au concours institué par la Ville de Paris pour donner sa façade à l’église Saint-Sulpice. Meissonnier présenta un projet nettement borrominien, qui fut rejeté. Mais, en 1728, il dessinait le célèbre chandelier pour la chambre du roi, au fût tourmenté, aux bras asymétriques, qui apparaît comme le manifeste d’un style nouveau, la rocaille* : celle-ci s’épanouit rapidement.

En 1726, un maître formé sous les plus éminents talents, Nicolas Pineau (1684-1754), revenait de Saint-Pétersbourg, où Pierre le Grand l’avait investi des offices de Premier peintre, puis de Premier architecte. Pineau s’était fait un style d’une élégante et spirituelle fantaisie, où les indices courbes se compensent avec un remarquable équilibre. Tout de suite, Robert de Cotte lui confie d’importantes boiseries à décorer. Lui-même inaugurait les trumeaux de glace, encadrés de tresses de palmier. Tout un groupe d’ornemanistes s’engage dans cette voie : Jacques de Lajoue (1687-1761) et un certain « Mondon fils » (Livre de formes, cartels et rocailles, 1736), notamment, stimulés en outre par la vogue des céramiques et des laques de Chine et du Japon. Il n’est cheminée de boudoir qui ne porte un magot, une pagode, quelque figure singulière, asymétrique, d’un art étranger aux conventions classiques. Les rocailleurs, toutefois, n’ont en commun que des traits superficiels. Pineau cadence avec subtilité les incavatures opposées. Meissonnier prend simplement le contre-pied de la logique, monte — en principe, car il a très peu construit — des masses sur des supports qui flageolent, bombe les corniches qui devraient être droites, interrompt des entablements qui devraient être rigides ; cependant, certains projets de meubles et de sièges ont été réalisés d’après ses desseins : tout hérissés qu’ils soient, le praticien, alors, a eu soin de leur conserver un minimum de sagesse.