Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Leonov (Leonid Maksimovitch)

Romancier russe (Moscou 1899).


Fils du poète et journaliste autodidacte Maksim Leonov (1872-1929), exilé à Arkhangelsk pour son activité d’éditeur d’ouvrages jugés subversifs, Leonid Leonov a été élevé à Moscou par son grand-père, propriétaire d’une boutique dans le quartier commerçant du Zariadie. Dès 1915, il commence à publier, notamment dans le journal de son père, à Arkhangelsk, des poèmes, des comptes rendus et divers articles ; il poursuit cette activité dans les journaux de l’armée rouge, où il est mobilisé en 1920, puis à Moscou, tout en travaillant dans un atelier de serrurerie.

Il débute en 1922 avec une série de contes — fantastiques (Bouryga ; Dereviannaïa koroléva [la Reine de bois]), féeriques (Valina koukla [la Poupée de Valia]) ou exotiques (Touatamour ; Oukhod Khama [le Départ de Cham], Guibel Egorouchki [la Mort d’Egorouchka]) — qui révèlent un penchant pour le primitivisme et un art consommé de la stylisation narrative, ou skaz, où l’on décèle facilement l’influence des prosateurs russes modernes, et notamment d’Alekseï Mikhaïlovitch Remizov (1877-1957).

Totalement absente de ces premières œuvres, l’actualité pénètre, par le biais du contraste grotesque, dans trois récits plus importants écrits en 1923-24, Petouchkhinski prolom (la Percée de Pétouchikha), Zapiski Koviakina (le Journal de Koviakine) et Konets melkogo tcheloveka (la Fin d’un homme médiocre), qui peignent la révolution à travers les remous qu’elle provoque dans les eaux dormantes de la vie russe traditionnelle : village perdu, petite ville de province, univers clos de l’intellectuel russe. L’influence du skaz, qui restera toujours sensible dans une certaine surcharge expressive de la phrase, se combine, notamment dans ce dernier récit, à celle de Dostoïevski*, avec lequel Leonov a en commun un certain pessimisme, fait de vertige devant la fragilité des structures de la personnalité (c’est le thème du double) et la profondeur des racines du mal dans l’âme humaine.

Salué comme l’un des premiers romans réalistes de la littérature soviétique, Barsouki (les Blaireaux, 1924) interprète la révolte d’un village contre les bolcheviks comme un conflit tragique entre deux aspects contradictoires de la révolution (incarnés par deux frères ennemis), sa spontanéité anarchique, ancrée dans les forces aveugles de l’instinct, et la finalité rationnelle de son projet prométhéen. Un conflit analogue s’exprime dans la destinée de Mitia Vekchine, personnage du roman Vor (le Voleur, 1927), héros révolutionnaire devenu gangster parce que, faute d’avoir su plier sa révolte et sa soif d’absolu à la discipline bolchevik, il voit dans la N. E. P. une défaite de la révolution. La jungle du Zariadie prérévolutionnaire, magistralement dépeinte dans Barsouki comme le monde clos des instincts ténébreux et bas de la nature humaine, paraît en effet triompher dans le Moscou de la N. E. P., dont Vor nous offre un saisissant tableau. La critique reproche à Leonov cette vision pessimiste qui s’exprime aussi dans d’autres œuvres de la même période, notamment le drame Ountilovsk (1928) et les récits Provintsialnaïa istoria (Une histoire provinciale, 1928) et Neobyknovennyïe rasskazy o moujikakh (Histoires extraordinaires sur les paysans, 1928). Une deuxième rédaction de Vor, en 1959, ôtera à cette œuvre son ambiguïté, et peut-être aussi, du même coup, sa profondeur tragique.

Les perspectives prométhéennes du socialisme, confirmées par le « grand tournant » de 1929-30, permettent à Leonov de surmonter ce pessimisme. Dans les romans Sot (la Rivière Sot, 1930), qui a pour sujet l’édification d’une usine de pâte à papier dans l’Oural et se rattache à la littérature du plan quinquennal, et Skoutarevski (1932), dont le thème est la rupture avec les siens et le ralliement aux bolcheviks d’un savant de renommée mondiale, représentant typique de l’intelligentsia prérévolutionnaire, l’adhésion à la foi socialiste apparaît comme la seule réponse possible au sentiment de l’absurde et au vertige du néant. Un thème analogue apparaît dans la nouvelle Sarantcha (les Sauterelles, 1930) et dans les drames Polovtchanskie sady (les Vergers de Polovtchansk, 1936) et Volk (le Loup, 1939).

Écrites pendant la période stalinienne, les deux œuvres majeures de Leonov — les romans Doroga na Okean (la Route de l’Océan, 1936) et Rousski les (la Forêt russe, 1953) — font coïncider ce thème philosophique avec l’opposition manichéenne du « bon citoyen » (ou du patriote) et de l’« ennemi du peuple ». Centrée sur un conflit dramatique aigu où se trouvent impliqués de très nombreux personnages, l’action de ces romans se prolonge sur le plan chronologique par une véritable enquête policière qui démasque le nihilisme pessimiste des personnages « négatifs » en révélant leur passé prérévolutionnaire, et sur le plan philosophique par un vaste symbole qui exprime la foi des personnages « positifs ». Au symbole de l’Océan, qui représente l’avenir socialiste, l’expérience vécue des années de guerre substitue significativement celui de la forêt russe, qui incarne la continuité nationale et culturelle. La Forêt russe se situe ainsi dans le prolongement des œuvres inspirées par des thèmes nationaux et patriotiques, telles que les nouvelles Evguenia Ivanovna (écrite en 1938, publiée en 1963) et Vziatie Velikochoumska 1944) et les drames Nachestvie (l’Invasion, 1942) et Lionouchka (1943).

M. A.

 V. A. Kovaliov, l’Œuvre de L. Leonov (en russe, Moscou et Leningrad, 1962). / M. Drozda, Babel, Leonov, Solzenicyn (en tchèque, Prague, 1966). / L’Œuvre de L. Leonov (en russe, Leningrad, 1969).

Leopardi (Giacomo)

Poète italien (Recanati, Marches, 1798 - Naples 1837).


Sans doute le plus grand — et le plus savant — poète italien depuis Pétrarque, Leopardi est aussi le père de la poésie moderne italienne. Si, comme celle de Pétrarque, son œuvre poétique proprement dite ne représente qu’une infime partie de sa production littéraire, celle-ci lui est entièrement subordonnée. Ou plutôt, la poésie est moins pour Leopardi l’aboutissement de sa prodigieuse science historique, rhétorique et philologique, que très exactement son envers : l’expérience d’une parole radicalement autre, soustraite aussi bien aux exigences du sentiment qu’à celles de la vérité. Seule cette fondamentale altérité de la parole poétique permet à Leopardi non point de résoudre dialectiquement les contradictions qui n’ont cessé de le déchirer, mais en quelque sorte de les déjouer. Si dans la tragédie quotidienne du poète la passion de la vérité et la recherche du bonheur sont incompatibles, l’intelligence et l’imagination concourent également à l’émotion poétique, qui est à elle-même sa propre fin : l’inspiration est secondée par la conscience critique la plus rigoureuse, et l’érudition philologique soumise à une poétique du « vague » — nous dirions aujourd’hui : du « neutre ». À une expérience radicale de la négativité et de la mort — le célèbre « pessimisme » léopardien — répond une poésie qui, par l’usure et la raréfaction progressive de ses signes, aspire à la pure abstraction.