Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

législative (Assemblée) (suite)

Celle-ci est devenue « une démocratie en armes » qui exige la Terreur* pour vaincre et punir ses ennemis. Cette Terreur s’exerce d’abord sur ceux qui enlèvent au peuple son droit à l’existence. Les convois de blé sont de nouveau arrêtés, et la marchandise taxée est vendue. Les marchandises sont réquisitionnées, taxées et vendues par le peuple dans de nombreuses villes. Le 9 septembre, les administrations sont autorisées à recenser les grains et à les vendre au meilleur prix pour le consommateur.

La Terreur s’exerce contre les ennemis de la Révolution et les suspects. C’est le cas des prêtres réfractaires. Le 26 août, les prêtres, comme les fonctionnaires, doivent prêter serment de fidélité à la liberté et à l’égalité. Faute de le faire, ils ont quinze jours pour quitter le sol national ; passé ce délai, ils seront déportés à la Guyane. Le 28 août, des visites domiciliaires sont autorisées ; on recherche des armes et on surveille aussi les agissements des suspects. Les prisons se remplissent, alors qu’un Tribunal criminel extraordinaire a été créé (17 août) pour juger les personnes emprisonnées.

Cette action terroriste n’est pas seulement localisée à Paris. Des commissaires choisis parmi les sans-culottes sont envoyés par la Commune et le Conseil exécutif dans les provinces, où les forces centrifuges sont à l’œuvre et risquent de transformer la France en des milliers de petites républiques. Les commissaires trouvent appui auprès des Jacobins et des sans-culottes, à la ville comme à la campagne.

C’est que la Législative, sous la pression des masses populaires, donne partiellement satisfaction aux paysans : elle supprime sans indemnité les droits féodaux dont le seigneur ne peut faire la preuve.

Les massacres de Septembre sont à lier au combat révolutionnaire mené contre les ennemis du dehors et du dedans : les sans-culottes craignent de partir pour les frontières en laissant derrière eux des ennemis qui, à tout moment, peuvent forcer la porte des prisons et, avec l’aide de leurs alliés restés libres, « égorger les femmes et les enfants ». Cette peur fait naître une volonté punitive qui les porte aux prisons, où, confondant entre leurs mains tous les pouvoirs, ainsi que le peut le « souverain » qu’ils sont, ils jugent et exécutent. Tout comme au 10-Août, les acteurs de ces scènes tragiques ne sont pas la « lie de la société » ; l’historien possède des listes qui lui permettent de les typer. Ce sont des hommes d’âge mûr, ayant souvent un foyer et toujours un travail ; beaucoup sont des petits commerçants. Du 2 au 6 septembre, il y aura à Paris, 1 395 victimes, c’est-à-dire la moitié des personnes emprisonnées. Celles-ci sont des agioteurs ou des fabricants de faux assignats. Ces bandits sont mêlés à des contre-révolutionnaires notoires. Enfin, il y a des prêtres. Une légende tenace les présente comme des martyrs de la foi. Des travaux récents, tels ceux de Bernard Plongeron, ont montré qu’ils sont tués comme suspects politiques. Dans le reste de la France, des prêtres ont été, pour cette même raison, l’objet de sévices ; c’est le cas à Cambrai par exemple. Les massacres ne sont pas un fait parisien. Il y en a à Reims le 3 septembre, à Charleville le 4, à Soissons le 6, à Marseille le 8, à Valenciennes et à Lyon le 9, à Toulon le 10. Ces massacres marquent pour les coalisés la détermination des patriotes. Aux chefs militaires, ils enseignent que toute tractation secrète avec l’ennemi sera punie impitoyablement par une nation qui veut « vaincre ou mourir ». La Terreur est aussi militaire.

Le premier devoir du « souverain » quand il y a guerre, c’est d’être à la tête de ses armées. Le peuple souverain est démocratie en armes et pratique la guerre révolutionnaire. Le combat n’est plus l’affaire de quelques-uns, il est l’obligation de tous. Il n’y a plus des soldats et des civils, il n’y a plus que des citoyens qui défendent leur bien commun. L’armée est la projection de la société tout entière.

La force armée de la nation se compose de trois éléments. La ci-devant armée royale est formée de soldats qui se sont engagés pour trois ou parfois huit ans. Habillés de blanc, ces soldats sont encadrés dans leur régiment par des officiers de métier sortis du rang ou ayant depuis 1791 gagné l’épaulette par le concours. Il y a parmi eux de nombreux petits nobles. Ces soldats sont plus disciplinés ; on les dit plus aguerris, mais on se méfie d’eux.

À côté d’eux, il y a la force dont s’est dotée la bourgeoisie révolutionnaire : ce sont les volontaires de 1791. Levés d’abord spontanément au moment de la fuite du roi et de la crainte qui s’ensuivit d’une invasion étrangère, ils l’ont été ensuite légalement de septembre aux premiers mois de 1792. Habillés de bleu, ils sont, dans leur bataillon, commandés par des officiers et des sous-officiers qu’ils ont choisis eux-mêmes, ainsi que le font des citoyens libres et égaux pour leurs administrateurs. Leur engagement n’est que pour une campagne ; leur solde est plus élevée que dans la troupe « régulière », mais on les dit indisciplinés, mal encadrés par des hommes qui ne savent rien de la guerre. Par contre, ils seraient plus patriotes que les précédents.

Des recherches récentes ont infirmé cette dernière croyance longtemps partagée par les contemporains et par les historiens. L’armée de ligne, la ci-devant armée, est en fait en voie de régénération. Les registres de contrôle qui, avec leur identité et leur profession, donnent l’âge et la date d’engagement de ses soldats démontrent qu’ils sont aussi jeunes par l’âge et l’expérience militaire que les volontaires. Si le chômage et la crainte de la faim les ont poussés vers l’armée, ils sont, proportionnellement à la population, très nombreux à provenir de milieux urbains, où la prise de conscience politique a été rapide. En cela, ils sont proches encore des volontaires. Enfin, dans l’une et l’autre armée, la hiérarchie militaire traduit la hiérarchie sociale nouvelle : celui qui commande est un notable, noble ou roturier, et son expérience du métier des armes est comparable. Le petit noble se rencontre dans l’une et l’autre troupe ; comme le bourgeois, il était victime d’un ancien régime qui lui refusait l’accès aux hauts grades. La nation, désormais, le lui ouvre. Certains sont prêts à se sacrifier pour elle. Les chefs les plus suspects sont peu à peu éliminés par des soldats qui fréquentent les clubs et en ouvrent même au sein de leur unité.