Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jordanie (suite)

Cet équilibre a été brutalement rompu par la situation créée par le partage de la Palestine, avec l’intégration d’une partie cisjordanienne au nouvel État et l’afflux de réfugiés provenant de la partie israélienne. La structure démographique a été profondément modifiée. La population transjordanienne d’origine compte désormais pour le tiers environ, la population cisjordanienne restée sur place pour un autre tiers, et la population déplacée de la partie israélienne pour le dernier tiers. Environ 55 p. 100 de la population se trouvaient dans la partie cisjordanienne, et 45 p. 100 dans la partie transjordanienne. Des tensions considérables, liées notamment à la forte proportion de réfugiés, ont été ainsi créées, et la dynastie a dû chercher plus que jamais dans le support bédouin les fondements de son autorité, tandis que la part réelle des nomades devenait minime (moins du dixième au total).


L’économie

L’agriculture reste l’activité principale et ne dépasse guère le cadre de la subsistance quotidienne. Dans la partie cisjordanienne domine l’arboriculture de type méditerranéen (olivier, vignoble, figuier). Le revers du plateau transjordanien est essentiellement une région d’agriculture céréalière pluviale. Des cultures maraîchères et des plantations (bananiers, agrumes) se sont développées dans le fond de la dépression du Jourdain à la faveur des irrigations du Ghor (Rhawr) oriental (12 000 ha). La seule culture industrielle est le tabac, pratiquée dans la région d’al-Ṣalṭ, en Transjordanie.

La seule ressource minière de quelque importance est constituée par les phosphates, répartis en plusieurs gisements dans le nord du plateau transjordanien, dont la production dépasse 0,9 Mt.

Le commerce extérieur se fait, en période normale, essentiellement avec la Syrie, à laquelle la Jordanie vend pratiquement tous ses produits agricoles (légumes et fruits) et pastoraux (laine et peaux). Seuls les phosphates font l’objet d’une exportation notable outre-mer. La partition de la Palestine a considérablement compliqué les relations avec l’extérieur. Celles-ci se font essentiellement par l’intermédiaire des ports libanais (Beyrouth) et syrien (Lattaquié), du moins en période normale. Les difficultés politiques avec la Syrie ont conduit le gouvernement jordanien à développer au maximum le port d’‘Aqaba, sur la mer Rouge, seule voie d’accès indépendante du pays.

Cette économie de type très primitif a encore été profondément perturbée par la guerre de 1967 et l’occupation par les Israéliens de la partie cisjordanienne du pays. Un nouvel afflux considérable de réfugiés et la disparition parallèle des ressources agricoles de la Cisjordanie, partie la plus riche du pays, ont totalement déséquilibré les finances du pays, qui ne peut plus subsister qu’avec des subsides massifs de l’extérieur, et notamment des autres pays arabes (Koweït, Arabie Saoudite).

X. P.


L’histoire


Les débuts

La Transjordanie est enlevée à l’Empire ottoman, durant la Première Guerre mondiale, par la Grande-Bretagne, qui y établit son mandat et confie au mois de mars 1921 l’administration à l’émir Abdullah (‘Abd Allāh [1882-1951]), fils de son allié Ḥusayn, le chérif de La Mecque. Territoire en grande partie désertique, peuplé essentiellement de Bédouins, la région présente pour l’Angleterre un grand intérêt politique et stratégique au Proche-Orient. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle constituera une base importante, à partir de laquelle les forces alliées lanceront leur offensive contre les Allemands pour éviter que certains pays comme l’Iraq ne tombent sous l’influence de l’Axe.

Dès 1921, les Anglais organisent parmi la population bédouine une importance force locale, la Légion arabe, qui représente encore aujourd’hui l’épine dorsale du régime hāchémite. Dirigée par des officiers britanniques — F. G. Peake (1921-1939) et Glubb pacha (1939-1956) —, la Légion arabe constitue entre les mains de la Grande-Bretagne une force sûre, qu’elle utilise au besoin pour renforcer sa position dans la région. Au surplus, l’émir Abdullah n’est pas opposé à la domination britannique ; sa vie durant, il travaille à consolider les intérêts anglais au Proche-Orient. Sûre de ce partenaire idéal, la Grande-Bretagne accepte, le 22 mars 1946, de renoncer à son mandat sur la Transjordanie. Le pays s’érige alors en royaume, et l’émir Abdullah est proclamé roi.

Très vite, celui-ci manifeste son désir d’agrandir son royaume. Il exploite la guerre de Palestine (mai 1948 - avr. 1949) pour annexer la vieille ville de Jérusalem et la rive occidentale du Jourdain. La Palestine est alors partagée entre sionistes et Arabes, et la Transjordanie devient le 24 janvier 1949 le royaume de Jordanie. Mais cette annexion d’une partie du territoire palestinien va engendrer pour le régime hāchémite de redoutables difficultés.

Jusqu’en 1948 la Légion arabe constitue la principale force du royaume. Organisée par les Anglais, qui assureront directement son contrôle jusqu’en 1956, cette armée parvient à établir la sécurité parmi la population bédouine et favorise ainsi une certaine stabilité politique au profit des Hāchémites.

Au lendemain de la guerre de Palestine, les contradictions du royaume hāchémite, jusque-là mineures, deviennent critiques. Une deuxième force apparaît alors sur la scène politique. Elle est constituée essentiellement par les Palestiniens, ceux de Jérusalem et de Cisjordanie, mais surtout ceux qui, chassés de leur territoire, vivent sous des tentes, dans des conditions extrêmement difficiles.

Les Palestiniens, et notamment les réfugiés, qui représentent plus de 700 000 habitants, constituent un terrain d’élection pour l’idéologie nationaliste. Ils sont hostiles au roi Abdullah, qu’ils accusent d’annexer, de connivence avec les Israéliens, une partie de leur pays et de faire le jeu de la Grande-Bretagne, considérée depuis la Déclaration Balfour de 1917 (qui reconnaît aux Juifs le droit de fonder un foyer national en Palestine) comme la principale responsable de leurs malheurs. Les Hāchémites doivent compter avec cette force, d’autant plus que les Palestiniens forment la plus grande partie de la population de leur royaume.

L’histoire de la Jordanie est alors déterminée par la confrontation des deux principales forces : la Légion arabe, principal appui du régime, dirigée, puis soutenue par les puissances anglo-saxonnes, et une bonne partie des Palestiniens, appuyés par le courant nationaliste arabe.

Les Hāchémites modèlent désormais leur politique en fonction du rapport de forces à l’échelle nationale et internationale. Suivant la conjoncture, ils s’appuient sur l’armée pour mater le courant nationaliste ou font des concessions à ce mouvement, animé essentiellement par les Palestiniens.