Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jordaens (Jacob) (suite)

D’autres thèmes souvent repris, comme le Satyre et le paysan — la répétition est une des caractéristiques du peintre —, s’ils conservent une grande jovialité, marquent néanmoins une inspiration déclinante. C’est pourtant bien dans la truculence populaire, lorsqu’il se plonge dans l’atmosphère pittoresque des familles flamandes, que Jordaens s’accomplit. Rien ne le manifeste mieux que Le roi boit, dans ses multiples versions, joyeuse scène de banquet à l’occasion de l’Épiphanie.

Ce peintre de l’exubérance flamande — plutôt que du baroque —, s’il va curieusement se convertir au calvinisme, n’en continuera pas moins à traiter des sujets d’inspiration catholique. Il saura aussi se faire apprécier comme décorateur ; artiste « heureux », il reçoit de nombreuses commandes. Après une collaboration avec Rubens, en 1635, pour la décoration de la ville d’Anvers à l’occasion de l’entrée du cardinal-infant Ferdinand, il travaille pour la cour de Suède et pour celle d’Angleterre, où Charles Ier lui confie en 1641 le décor d’un salon de la maison de la Reine à Greenwich. En 1650-1652, il peint son célèbre Triomphe de Frédéric-Henri de Nassau à la maison au Bois, près de La Haye. Le palais du Luxembourg, à Paris, conserve quelques-unes des décorations qu’il avait réalisées pour sa propre maison à Anvers.

À ces multiples succès, Jordaens aurait pu ajouter celui d’être un grand portraitiste, comme en témoignent certaines toiles des musées du Louvre et de Bruxelles, mais il semble n’avoir montré que peu d’enthousiasme pour ce genre de travail. Maître alternant les réussites avec des œuvres de moindre intérêt, il n’aura pas véritablement de disciples : il est le dernier représentant de ce siècle d’opulence et de dynamisme.

M. P.

 A. Stubbe, Jocob Jordaens en de Barok (Anvers, 1948). / L. Van Puyvelde, Jordaens (Elsevier, Bruxelles, 1955). / R. A. d’Hulst, De tekeningen van Jacob Jordaens (Anvers, 1956).

Jordan (Camille)

Mathématicien français (Lyon 1838 - Paris 1922).


Fils d’un ingénieur des Ponts et Chaussées et de la sœur du peintre Pierre Puvis de Chavannes, Jordan fait ses premières études au collège d’Oullins et prépare au lycée de Lyon le concours d’entrée à l’École polytechnique. Reçu premier en 1855, il en sort second et opte pour le corps des Mines. Affecté en 1861 à quelques postes de province, puis appelé à Paris en 1867, il est nommé en 1873 examinateur des élèves de l’École polytechnique pour l’analyse. En 1876, il y succède à Charles Hermite* dans la chaire d’analyse. Suppléant d’Alfred Serret (1819-1885) au Collège de France en 1875, il y succède en 1883, comme professeur, à Joseph Liouville (1809-1882). Mis à la retraite comme ingénieur en chef des Mines en 1885, il prend la direction du Journal de mathématiques fondé par Liouville. Suppléé au Collège de France en 1904 par Georges Humbert (1859-1921), il prend en 1912 sa retraite de professeur.

Un de ses premiers Mémoires, de 1865, porte sur les symétries des polyèdres, et son Mémoire sur les Groupes de mouvement (1867) se rattache directement aux études cristallographiques d’Auguste Bravais (1811-1863). Ces premiers travaux, que complètent, entre autres, en 1865 et en 1869, deux Commentaires sur le Mémoire de Galois, montrent la direction de ses recherches. « C’est, écrira-t-il, la lecture assidue du cours d’algèbre supérieure d’Alfred Serret qui m’a initié à l’algèbre et m’a inspiré le désir de contribuer à ses progrès. »

En 1870, Jordan donne son monumental Traité des substitutions et des équations algébriques, qui plonge dans l’admiration deux jeunes chercheurs étrangers de passage à Paris, Sophus Lie (1842-1899) et Felix Klein (1849-1925). Son rôle dans le développement de la théorie des groupes est de premier plan. C’est sur l’ensemble de son œuvre algébrique, où, s’appuyant sur la notion de groupe, il complète les œuvres de Niels Abel* et d’Évariste Galois*, et développe la théorie des formes, qu’est d’abord fondée sa renommée. Mais il ouvre d’autre part des voies toutes nouvelles. Suivant l’exemple de Galois, il a utilisé presque uniquement les raisonnements synthétiques, en minimisant les calculs le plus possible. Aussi a-t-il osé aborder bien des problèmes rejetés jusque-là hors des mathématiques. Il se demande ce qu’est une aire, un volume, une intégrale, la longueur d’un arc de courbe. Il se demande même ce qu’est une courbe ou un domaine ; d’où l’apparition des courbes de Jordan. Ce sont les applications bicontinues du segment [0 1] dans le plan affine. Une courbe de Jordan est fermée si 0 et 1 ont la même image. Précisant ainsi des intuitions « évidentes », celui-ci démontre que, si une telle courbe est sans point double, elle partage le plan en deux régions.

Pour l’étude des intégrales, il s’attaque à la notion de mesure des ensembles de points. Cette mesure sera d’ailleurs vite remplacée par celle d’Émile Borel*. Ces recherches commencent l’édification d’une théorie de la variable réelle, où s’illustrera son disciple et biographe Henri Lebesgue*. (Acad. des sc., 1881.)

J. I.

Jordanie

En ar. al-Mamlaka al-Hāchimiyya al-Urduniyya, État de l’Asie occidentale. Capit. Ammān*.



Géographie physique

V. Moyen-Orient.


L’état jordanien

Le royaume hāchémite de Jordanie est une création composite qui associe, sur la base des lignes du cessez-le-feu lors de la guerre de naissance de l’État d’Israël en 1948, deux éléments profondément dissemblables, l’émirat de Transjordanie et la partie restée arabe de la Palestine.

Bien que sa dynastie, originaire des villes du Hedjaz, soit d’essence citadine, la Transjordanie, à l’est du Jourdain, comprenant, avec le revers cultivable du plateau de Transjordanie, une grande partie du désert syrien, était essentiellement un État bédouin, né de la volonté de la Grande-Bretagne d’assurer après la Première Guerre mondiale un domaine à l’un de ses plus fidèles clients, l’émir Abdullah, et en même temps de soustraire la partie septentrionale du désert à l’emprise saoudienne. Marche-frontière du mandat britannique de Palestine en face du royaume wahhābite, déjà intégré dans l’orbite du monde sédentaire levantin, l’émirat transjordanien n’en apparaissait pas moins comme comparable, par bien des points, aux traditionnelles principautés bédouines du désert. Les nomades, plus ou moins fixés, constituaient le quart de la population, et c’est parmi eux que se recrutait la Légion arabe, instrument principal du pouvoir et base militaire du pays. À la veille de la partition de la Palestine, la Transjordanie était typiquement un État bédouin au stade d’urbanisation et de sédentarisation progressives, où la prééminence sociale des chefs de tribus se conjuguait avec le développement de la sécurité et de la fixation.