Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jardins (art des) (suite)

Vision d’un âge d’or ou d’un paradis perdu, le jardin est longtemps resté une tentative pour établir des liens avec le divin. Devenu un moyen d’appropriation, vaste ou borné aux ambitions individuelles, il a fini par n’être qu’un luxe contestable. Pourtant, l’homme ne saurait se passer d’un environnement naturel : le jardin lui reste aussi nécessaire que les sources pures dont l’alimentaient les vieux rêves édéniques.

Jardins de Chine et du Japon

L’art des jardins en Extrême-Orient répond, par son importance et sa continuité, à un besoin profond de communion avec l’univers, sans équivalent en Europe, sinon de façon fragmentaire et épisodique.

À l’inverse des conflits entre le monde sensible et le surnaturel, une recherche patiente d’accord avec les rythmes cosmiques caractérise la vieille Chine taoïste et se renforce encore au ive s. avec l’implantation du bouddhisme.

Sous l’influence des monastères du chan (tch’an), puis du zen japonais, se développe un art qui invite à la sagesse et à l’immortalité en sublimant la nature dans de simples objets ou dans des compositions qui vont du lavis de paysage au jardin proprement dit : la montagne est suggérée à l’aide de quelques rochers caverneux et l’eau, souvent, par du sable et des pierres ; arbres et fleurs sont disposés de façon significative. On trouve cette démarche philosophique présente dans les merveilleux parcs princiers comme dans les plus modestes jardins ; ici et là, une hutte d’ermite en rappelle le but essentiel : la méditation.

Chaque région réagit d’ailleurs selon sa sensibilité propre. En Chine*, on accorde un rôle important à l’architecture ; kiosques, ponts, galeries ménagent des points de vue, tracent un itinéraire. Au Japon, par contre, on aboutit au jardin fait pour être embrassé d’un regard, et on le réduit même aux dimensions d’une boîte, d’un plateau et à celles de l’arrangement floral dans les maisons (art de l’ikebana). Ici et là, au cours des temps, la religiosité des premières créations s’est estompée en se teintant d’humanisme. Au ive s., le prosélytisme des moines chinois du Lotus-Blanc multipliait les répliques du parc du Lushan (Lou-chan) dans le Jiangxi (Kiang-si) ; dix siècles plus tard, les « palais d’été » seront surtout destinés aux réceptions, et l’on y introduira la musique, voire (par un curieux échange d’influences sous l’empereur Qianlong [K’ien-long] au xviiie s.) les illusions scénographiques franco-italiennes.

Au Japon, la primauté des jardins de méditation s’établit au xiie s., et, deux siècles après, le « jardin des mousses » du Saihō-ji de Kyōto* est encore dû à un moine, Musō Kokushi. Mais, au xve s., c’est un peintre, Sōami, qui trace dans la même ville le Daisen-in, petit paysage d’eau desséché. Face au sordide quotidien, le raffinement esthétique va l’emporter désormais avec les professionnels chargés de fournir un cadre visuel à la cérémonie du thé*.

H. P.

➙ Art.

 P. Grimal, les Jardins romains à la fin de la République et aux deux premiers siècles de l’Empire (E. de Boccard, 1945 ; 2e éd., P. U. F., 1969) ; l’Art des Jardins (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1954 ; 2e éd., 1964). / O. Siren, Gardens of China (New York, 1948). / E. de Ganay, les Jardins de France et leur décor (Larousse, 1949). / G. Gromort, l’Art des Jardins (Vincent, Fréal et Cie, 1953 ; 2 vol.). / L. Hautecœur, les Jardins des dieux et des hommes (Hachette, 1959). / M. Charageat, l’Art des Jardins (P. U. F., 1962). / J. S. Berrall, The Garden, an Illustrated History (New York, 1966 ; trad. fr. Histoire illustrée des jardins, Pont Royal, 1968).

Jarry (Alfred)

Écrivain français (Laval 1873 - Paris 1907).


Né d’une famille petite-bourgeoise, il étonne son entourage, dès son plus jeune âge, par une curiosité multidisciplinaire et la facilité avec laquelle il assimile les connaissances. Il manifeste déjà le besoin de se distinguer, qu’il portera au plus haut point par l’utilisation quotidienne d’objets insolites (revolver) ou le port de tenues extravagantes (celle de cycliste par exemple).

Après des études brillantes aux lycées de Laval, de Saint-Brieuc et de Rennes, Jarry se rend à Paris dans l’intention de préparer l’École normale ou l’École polytechnique. Mais il se plaît davantage dans la fréquentation des milieux symbolistes. Il entre au Mercure de France et se lie d’amitié avec Remy de Gourmont, Alfred Vallette (directeur du Mercure) et Rachilde. Il publie différents morceaux de vers et de prose, qu’il recueillera en 1894 dans les Minutes de sable mémorial, auquel succédera en 1895 César Antéchrist. Jusque-là, rien ne distinge littérairement ce jeune homme curieux, excentrique, doué, avide de gloire.

Le 10 décembre 1896, au théâtre de l’Œuvre, dirigé par A. Lugné-Poe, est présenté Ubu roi de Jarry, musique de Claude Terrasse, avec F. Gémier dans le rôle d’Ubu. Cette représentation provoque un chahut dans la salle et, parmi les critiques, les polémiques les plus vives. Jules Lemaitre s’interroge : « C’est bien une plaisanterie, n’est-ce pas ? », pendant qu’Henry Bauër déclare : « De cette énorme figure d’Ubu, étrangement suggestive, souffle le vent de la destruction, l’inspiration de la jeunesse contemporaine qui abat les traditionnels respects et les séculaires préjugés. Et le type restera... »

Tout commença, en effet, par une plaisanterie, un canular de collégiens du lycée de Rennes, qui tournèrent en ridicule leur ridicule professeur de physique, M. Hébert. C’est ainsi qu’on (C. Chassé) a pu accuser Jarry d’avoir usurpé à un de ses camarades, Ch. Morin, la paternité d’Ubu. Que Jarry ait utilisé les idées de ses condisciples, cela ne fait aucun doute. Mais c’est à lui que revient le privilège d’avoir distingué et porté à la connaissance du public — après l’avoir réécrite — cette farce énorme que Morin considérait comme une « connerie », lui donnant une qualité littéraire, enrichissant la langue française d’un mot nouveau : ubuesque.