Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

Drames de salon, comédies « boulevardières », adaptations plus ou moins académiques de « classiques littéraires » ne permettent guère au cinéma argentin d’étendre sa notoriété hors de ses frontières. Les films qui font montre de quelque originalité, comme le Fleuve de sang (Las aguas bajan turbias, 1952) d’Hugo del Carril, sont des exceptions. Aussi les premières œuvres de Leopoldo Torre Nilsson seront-elles saluées avec beaucoup d’espoir. À partir de la Maison de l’ange (1957), Torre Nilsson est maître de son style : il a le grand mérite de s’attaquer à des sujets politiques ou sociaux rarement traités, et permet à l’Argentine de figurer en bonne place dans les confrontations cinématographiques mondiales.

À partir de 1959, une « nueva ola » (nouvelle vague), annoncée par des films tels que le Chef (El Jefe, 1958) de Fernando Ayala, apparaît, permettant à de jeunes metteurs en scène de faire leurs premières armes ; ainsi Lautaro Murua : Shunko (1959), Alias Gardelito (1960) ; Fernando Birri : les Inondés (Los Inundados, 1961) ; Rodolfo Kuhn : les Jeunes Vieux (Los Jóvenes Viejos, 1961) ; David José Kohon : Prisonniers d’une nuit (Prisioneros de una noche, 1960), Trois fois Anne (Tres veces Ana, 1961) ; Leonardo Favios : Chronique d’un gamin solitaire (Crónica de un niño solo, 1964). Les jeunes réalisateurs argentins ne parviennent pas pourtant à créer un mouvement original, et la flamme s’éteint lentement vers 1965. Des essais individuels prennent le relais, parmi lesquels il faut noter un important « film-tract » de Fernando E. Solanas : l’Heure des brasiers (La Hora de los hornos, 1969), pamphlet révolutionnaire analysant la situation politique et sociale de son pays, un curieux essai fantastique d’Hugo Santiago : Invasion (1969), d’après Jorge Luis Borges, et la suite de l’œuvre de Leopoldo Torre Nilsson (Piedra libre, 1976).


Autres pays

La plupart des autres pays d’Amérique latine ont eu certaines difficultés à organiser un cinéma strictement national. Les productions américaines, mexicaines et argentines suffirent longtemps à alimenter le marché, et les tentatives de certains cinéastes restèrent longtemps limitées. Cependant, l’apport de certaines personnalités est loin d’être négligeable : les Péruviens Jorge Chambi et Jorge Huaco, auteurs de remarquables documentaires, la Vénézuélienne Margot Benacerraf (Araya, 1959), le Chilien Bruno Gebel (la Crique oubliée [La Caleta olvidada], 1957), le Bolivien Jorge Ruiz (Vuelve Sebastián) ont probablement ouvert la voie à une nouvelle génération cinématographique, qui, à partir de 1960, a compris que le cinéma pouvait être une arme d’une force insoupçonnée dans la contestation sociale et politique. Les premiers signes d’un renouvellement cinématographique national étaient apparus à l’époque du gouvernement d’Allende au Chili (Aldo Francia, Raúl Ruiz, Helvio Soto, Miguel Littin) et en Bolivie, où le virulent Jorge Sanjines signe coup sur coup plusieurs œuvres d’une grande ferveur révolutionnaire : Ukamau (1967), le Sang du condor (Yawar Mallku, 1969), l’Ennemi principal (1972).

Le cas de Cuba mérite une place privilégiée. Le cinéma s’y développe avec succès au début du xxe s. Le premier long métrage, Manuel Garcia (1913), de Enrique Díaz Queseda, est suivi d’autres films réalisés notamment par Evaristo Herrera, Esteban Ramirez et Ramón Peón. Mais, dès l’apparition du film sonore, la production cubaine s’effondre : mélodrames et films folkloriques pour touristes se partagent les faveurs des écrans. Seul Sept Morts à date fixe (Siete Muertes a plazo fijo, 1950), de Manuel Alonso, émerge d’un lot de films médiocres. Un changement important survient après la révolution de 1958. En effet, en mars 1959 est fondé l’I. C. A. I. C. (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos), qui finance tout d’abord des documentaires comme La terre est à nous (Esta tierra nuestra), de Tomás Gutiérrez Aléa, et le Logement (La Vivienda), de Julio García Espinosa, puis en 1960 des longs métrages : Histoires de la Révolution (Historias de la Revolución), de T. G. Alea, et Cuba Baila, de J. G. Espinosa.

L’impulsion est donnée et, tandis que Cuba invite de nombreux réalisateurs étrangers à tourner sur son territoire plusieurs documentaires — notamment le Portoricain Oscar Torres (Realengo 18), les Français Chris Marker (¡Cuba sí !), Agnès Varda (Salut les Cubains) et Armand Gatti (l’Autre Cristobal), le Hollandais Joris Ivens (Carnet de voyage), le Mexicain J. M. García Ascot (Cuba 58), les Soviétiques Mikhaïl Kalatozov et Roman Karmen, l’Allemand de l’Est Kurt Maetzig et le Tchécoslovaque Vladimir Čech —, certains cinéastes nationaux font déjà école. Autour de T. G. Alea (les Douze Chaises [Las Doce Sillas], 1961 ; Cumbite, 1963 ; la Mort d’un bureaucrate [La Muerte de un burócrata]. 1960) et de J. Garcia Espinosa (le Jeune Rebelle [El joven rebelde], 1960 ; les Aventures de Juan Quinquin, 1967) s’assemblent une dizaine de très jeunes metteurs en scène : Fausto Canel, Eduardo Manet, José Massip, Jorge Fraga, Manuel Octavio Gómez et surtout Humberto Solas avec : Manuela (1967), Lucía (1969) et Cantate pour le Chili (1975). Dans un pays comme Cuba, les documentaristes jouent un rôle de tout premier plan : Santiago Alvarez se montre un talentueux disciple d’Ivens dans Hanoï mardi 13, Jusqu’à la victoire toujours, En frappant dans la forêt, Now. Quand on aura dit que Cuba possède une école de dessins animés, dont les meilleurs représentants sont Jesús de Armas et l’Australien Harry Reade, il sera permis de penser que, dans les années à venir, les cinéastes cubains parviendront à consolider un mouvement qui a déjà sa place dans l’histoire du cinéma mondial.

J.-L. P.


Brésil

V. l’article.


Les metteurs en scène


Emilio Fernández

(Hondo, État de Coahuila, Mexique, 1904). La vie du plus célèbre des réalisateurs mexicains pourrait à elle seule faire l’objet d’un film : à dix ans, celui qu’on surnommera « El Indio » fait partie des troupes de Pancho Villa ; à dix-neuf ans, il est nommé général ; à vingt ans, tenté par le métier d’acteur, il figure dans diverses productions américaines, puis mexicaines ; à trente ans, il se révèle dans Janitzio, de C. Navarro ; à trente-sept ans, il signe sa première mise en scène (La Isla de la pasión, 1941). Dès lors, avec l’aide très efficace du grand opérateur* Gabriel Figueroa, il va donner au cinéma mexicain ses titres de noblesse dans une série de films où le pittoresque et le mélodrame cèdent parfois le pas à un réalisme poétique et sensuel, voire à un lyrisme passionné, qui éclate en de somptueuses images très composées : l’Ouragan (Flor silvestre, 1943), María Candelaria (1944), les Abandonnées (Las Abandonadas, 1945), La Perla (1945), Enamorada (1946), Río Escondido (1947), Maclovia (1948), la Mal-Aimée (La Malquerida, 1949), le Filet (La Red, 1953). Si la carrière de réalisateur de Fernández n’a pas résisté à partir de 1954 au déclin général du cinéma mexicain, sa carrière d’acteur, en revanche, a pris un nouveau souffle (La Cucaracha, 1958 ; la Récompense [The Reward, 1964] ; la Horde sauvage [The Wild Bunch, 1964]).


Leopoldo Torre Nilsson