Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

estampe (suite)

Le xviiie s. se termine par une période de forte réaction contre le style rocaille. L’admiration pour les découvertes archéologiques, un idéal de simplicité qui rejoint l’amour de la nature trouvent dans l’estampe un précieux auxiliaire. Le Voyage en Italie du marquis de Marigny, gravé par Cochin le Fils (1758), le Voyage pittoresque de l’abbé de Saint-Non (1781-1786), illustré par d’aussi grands noms que Fragonard, Hubert Robert* et Joseph Vernet*, sont les témoins de ce nouvel état d’esprit.

En Italie, le xviiie s. voit s’épanouir la gravure « personnelle » avec l’œuvre de peintres : ainsi les Tiepolo*, Giambattista, auteur des Capricci (1749) et des Scherzi di fantasia, et Giandomenico, qui grave d’après son père et compose une suite de la Fuite en Égypte. Canaletto* grave deux séries de Vues de Venise, qui célèbrent la poésie de la lumière, traduite par un trait vibrant. C’est de ses gravures de ruines antiques que la célébrité vint à Piranèse* ; mais ses Prisons (Carceri, 1745) nous touchent plus : le souffle d’une imagination débridée s’y exprime dans d’étranges effets lumineux, contredits par la rigueur impitoyable du dessin.


L’estampe moderne

L’estampe est de plus en plus considérée comme un moyen d’expression au service des peintres, qui ne possèdent généralement pas de formation spécifique. La notion d’école nationale s’affaiblit beaucoup. Les progrès des communications et des moyens de diffusion, la mode des expositions rendent visibles les mêmes œuvres dans le monde entier et suscitent d’innombrables créations. De nos jours, les techniques deviennent plus complexes en raison du mélange des procédés, de l’intervention de nouveaux matériaux (matières plastiques dans l’estampe en relief), des interférences avec la photogravure.

En France, la Révolution dispersa les grandes collections d’estampes et les fonds des marchands, qui, généralement, tiraient eux-mêmes les épreuves des planches qu’ils achetaient. Désormais, ce travail se fait chez les imprimeurs, qui se spécialisent dans une technique : ainsi, à Paris, Godefroi Engelmann (1788-1839) dans la lithographie.

Digne des mœurs de Mucius Scaevola, la rigueur du burin convenait à l’âge néo-classique — qu’il s’agît de la reproduction des œuvres de David* ou des dessins du sculpteur John Flaxman (1755-1826), illustrateur de Virgile et d’Hésiode. La tendance au dessin rigoureux ne pouvait qu’être encouragée en France par la création (1803) d’une section de gravure à l’Académie des beaux-arts, qui n’admettait que les burinistes. J.-G. Balvay, dit Charles Bervic (1756-1822), triomphe en interprétant le Guide. Son élève Louis Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892), traducteur d’Ingres* et de Paul Delaroche, fut le premier professeur de gravure à l’École des beaux-arts.

Sans doute faut-il remonter à Goya* pour trouver la source de l’estampe romantique, dont l’outil préféré est naturellement l’eau-forte. Le sentiment de l’irrationnel, mettant en valeur la face nocturne des choses et souvent l’épouvante, est transcrit par Goya avec une force cruelle, servie par l’égratignure, la griffe, parfois la tache (obtenue à la mezzotinte plus ou moins modifiée). Les Caprices sont exécutés en 1797-98, les Désastres de la guerre de 1810 à 1820 et la Tauromachie en 1815.

L’Angleterre enseigna le paysage à la France par sa peinture, mais aussi et d’abord par l’eau-forte. Au lendemain de l’Empire, les œuvres de l’école de Norwich (John Crome l’Ancien [1768-1821] ; John Sell Cotman [1782-1842]) étaient connues chez nous. Bien différents sont les thèmes de Charles Méryon (1821-1868), auteur des Eaux-fortes sur Paris (1850-1852), dont la précision et l’intensité côtoient le fantastique. L’engouement pour l’eau-forte se manifeste par la fondation du Old Etching Club à Londres (1838), de la Société des aquafortistes à Paris (1861). L’Anglais Francis Seymour Haden (1818-1910) comme les peintres de Barbizon* Rousseau et Daubigny cultivent dans le paysage une certaine austérité. Corot*, aquafortiste tardif, n’en a pas moins donné les chefs-d’œuvre que sont ses paysages d’Italie. Whistler* décrit, dans les Seize Vues de la Tamise saluées par Baudelaire, des fouillis d’agrès et de vergues, des docks sordides et fantomatiques.

Si les impressionnistes manièrent l’eau-forte pour la plupart, c’est Degas* qui poussa l’expérience le plus loin, et avec les techniques les plus complexes. Il influença Mary Cassatt (1845-1927), dont les études de femmes publiées à partir de 1891 ont la particularité d’être colorées « à la poupée ». Rodin* s’essaya avec grand succès à la pointe sèche, en particulier dans son portrait de Victor Hugo ; mais c’est dans l’eau-forte que s’exprima l’imagination de James Ensor*.

La grande nouveauté technique de l’estampe moderne est la lithographie. Le premier artiste important à s’en servir fut Ingres (portraits datés de 1815). Mais, jusqu’aux études de chevaux de Géricault*, la lithographie fut surtout appréciée comme moyen de reproduction de la peinture. Parmi les romantiques, Delacroix* et Chassériau* obtinrent des résultats honnêtes. Grâce à Nicolas Charlet (1792-1845), la légende napoléonienne prit forme sur la pierre, et ses grognards, comme ceux de son élève Auguste Raffet (1804-1860), furent proposés en modèles de patriotisme à des générations de Français.

Dans la première moitié du xixe s., le paysage constitue, notamment avec Bonington*, un chapitre appréciable de la production lithographique. Plus important est cependant le domaine de la scène de mœurs et de la caricature*. Gavarni, auteur de 2 700 lithographies parues dans différents journaux, sans compter ses dessins d’illustration gravés sur bois, a campé pour l’histoire les Étudiants et les lorettes (série de 1841). Daumier* met dans sa critique de la bourgeoisie et du régime de Louis-Philippe une violence qui situe sa Rue Transnonain dans la tradition de Goya. En lui s’incarnent les possibilités de la lithographie, dont la moindre n’est pas de mettre des œuvres de valeur à la portée du grand public, par la presse ou, dans d’autres buts, par l’affiche*. Toulouse-Lautrec* donne à celle-ci ses lettres de noblesse, et Jules Chéret introduit en France (1866) la chromolithographie anglaise.