Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

La hargne des détracteurs du baroque s’est notamment exercée au détriment de la famille Churriguera*, symbole d’un style décrié, où l’on ne voyait que surcharge et mauvais goût. Cependant, le plus célèbre des cinq frères Churriguera, José Benito (1665-1725), a pratiqué, tant à Madrid qu’à Salamanque, un art équilibré et parfois même sévère. Les condamnations englobaient aussi des monuments que nous admirons de nos jours sans réserve, comme la Plaza Mayor de Salamanque, conçue par Alberto Churriguera en 1728, ou l’Obradoiro de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, commencé en 1738 par Fernando de Casas y Novoa († 1749). On a également appris à comprendre les plus chargés des ouvrages baroques et à apprécier leurs qualités éminemment picturales, qu’il s’agisse de la porte du palais San Telmo à Séville (après 1724), œuvre de Leonardo de Figueroa (v. 1650-1730), de la porte de l’hôpital San Fernando de Madrid (après 1722), par Pedro de Ribera (v. 1683-1742), ou même du camarín de la chartreuse du Paular, de Francisco Hurtado Izquierdo (1669-1725), ou du « Transparente » de Narciso Tomé, dans la cathédrale de Tolède* (1721-1732).

À côté de ce baroque strictement ibérique existe au xviiie s. un art de cour où dominent les sources italiennes. Il accompagne l’œuvre de « rénovation » de l’Espagne voulue par les Bourbons. Philippe V, dont la neurasthénie aiguë avait besoin du repos de la campagne, fit construire à La Granja un château qui lui rappelait Versailles. Un premier noyau conçu par Teodoro Ardemans (1664-1726), architecte de la ville de Madrid, suivant la tradition des alcazars espagnols fut enveloppé par les constructions d’Andrea Procaccini (1671-1734) et de Giovanni Battista Sacchetti († 1764). Ce dernier architecte reconstruisit également le palais royal de Madrid, après transformation d’un projet de Filippo Juvara (1678-1735). Le souvenir d’un autre Italien, Santiago Bonavia († 1759), s’attache au château et à la chapelle San Antonio d’Aranjuez.

Une synthèse du baroque espagnol et de l’art international qui florissait sur les chantiers royaux fut tentée par Ventura Rodríguez (1717-1785), notamment à San Marcos de Madrid (1749-1753). Mais, à partir de 1760, la réaction contre le baroque, conduite d’abord par Diego de Villanueva (1715-1774) et sans cesse amplifiée, ouvrit la voie au néoclassicisme, phénomène international fondé sur le retour à l’antique.

Le meilleur représentant de l’art néo-classique en Espagne fut Juan de Villanueva (1739-1811), le frère de Diego. Son style apparaît pour la première fois dans les deux petits palais construits aux abords de l’Escorial pour les infants don Gabriel et don Carlos : la « Casita de Arriba » et la « Casita de Abajo » ; mais son chef-d’œuvre est le musée d’histoire naturelle de Madrid (plans de 1785), devenu par la volonté de Ferdinand VII l’illustre musée du Prado.

Cependant, la dictature exercée par l’Académie devait pendant longtemps freiner ou même annihiler les manifestations du génie créateur espagnol. Goya* seul fut assez grand pour échapper à cette froide et rigide tutelle.

D’une certaine manière, l’esprit de l’art baroque, contre lequel s’étaient acharnés ses adversaires néo-classiques, devait renaître à la fin du xixe s. avec le « modernisme ». Le mouvement s’intègre dans le grand courant européen qui ailleurs s’appelle modern style ou Art nouveau. En Espagne, il représente une révolte de la Barcelone industrielle contre la culture académique de Madrid. Son temple est la Sagrada Familia de Gaudí*, entreprise surhumaine qui voulait reprendre l’œuvre des grands bâtisseurs du Moyen Âge. C’est dans ce milieu vivant que de grands artistes comme Picasso* et Miró* devaient recevoir leur formation première ou façonner leur sensibilité.

M. D.


L’art espagnol au xxe siècle

• Architecture. Au début du siècle, l’architecture « moderniste » traverse une période de plein épanouissement qui durera jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Barcelone trouve dans l’Art* nouveau la meilleure expression de sa force juvénile et de sa fidélité au passé médiéval. À côté de Antonio Gaudí et de son labeur passionné, à la fois archaïsant et progressiste, on peut signaler Luis Doménech y Montaner (1850-1923), auteur de l’original palais de la Musique catalane (1905-1908), ou José Puig y Cadafalch (1867-1956), historien de l’architecture médiévale, qu’il ressuscite notamment dans la maison Amatller (1900). Cet essor du modernisme en Catalogne est favorisé par celui d’un artisanat local tout à fait remarquable, qui réalise céramiques, stucs, métaux, vitraux selon les désirs et les conceptions des architectes. D’autres grandes villes d’Espagne possèdent aussi, à côté d’édifices plus traditionnels, des monuments « Art nouveau » intéressants, tels le marché Colón à Valence, œuvre de Francisco Mora (1876-1960), ou le palais Longoria à Madrid, par José Grases (1850-1919).

En 1928 est fondé à Barcelone le G. A. T. C. P. A. C. (Groupe des artistes et techniciens catalans pour une architecture contemporaine), imité à Madrid, en 1930, par le G. A. T. E. P. A. C. Cette nouvelle génération se distingue par son goût du fonctionnel opposé au décoratif, sa prédilection pour les volumes et les espaces strictement définis. En font partie José Luis Sert (né en 1902), aujourd’hui bien connu pour ses réalisations aux États-Unis ; Félix Candela (né en 1910), qui, avec la cité universitaire de Mexico, s’est révélé l’un des meilleurs bâtisseurs du siècle ; Eduardo Torroja (1899-1961), auteur des audacieuses structures en béton de l’hippodrome de la Zarzuela à Madrid (1935) ou du stade de Les Corts à Barcelone. En 1929 est posée la première pierre de l’immense cité universitaire de Madrid, dont les campagnes successives illustrent plutôt les tendances académiques de l’architecture officielle.

À partir des années 50, des orientations nouvelles apparaissent avec les œuvres de Manuel Fisac (né en 1919), qui emploie des éléments préfabriqués, ou de Rafael Leoz, défenseur d’une architecture économique à base de modules combinés par ordinateur. Très en vogue, la construction modulaire fut inaugurée en 1958 avec le pavillon de l’Espagne à l’Exposition de Bruxelles, œuvre de José Antonio Corrales (né en 1921) et de Ramón Vázquez-Molezún (né en 1922). Par ses rythmes circulaires, l’immeuble des Torres Blancas à Madrid (1969), dû à Francisco Javier Sáenz Oiza (né en 1918), semble un rappel du modernisme de Gaudí.

À Barcelone, le groupe R, fondé en 1952, a fait connaître, entre autres noms, ceux de José Antonio Coderch (né en 1913) et de Manuel Valls Vergés (né en 1912).