Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enfer (suite)

« Qu’est-ce que l’enfer ? C’est la souffrance de ne plus pouvoir aimer. Une seule fois dans la vie infinie que l’on ne saurait mesurer ni même dans le temps, ni dans l’espace, il a été donné à un être spirituel, du fait de son apparition ici-bas, la possibilité de se dire : « Je suis et j’aime. » Une fois, une seule fois, un instant d’amour actif et vivant lui a été donné, et c’est pour cela que lui a été donnée la vie terrestre dans ses limites temporelles. Eh bien, cet être heureux rejeta ce don sans prix, ne sut pas l’apprécier et l’aimer : il le contempla ironiquement et resta insensible. Un tel être, départi de la terre, voit le sein d’Abraham, s’entretient avec Abraham comme dans la parabole du riche et de Lazare, contemple le Paradis, peut s’élever vers Dieu, mais ce qui le torture précisément, c’est qu’il se présentera devant Dieu sans avoir aimé, et qu’il côtoiera ceux qui ont aimé, ayant méprisé leur amour. Car il voit clairement et se dit à lui-même : « Maintenant, je possède la connaissance, mais bien que j’aie soif d’aimer, il n’y aura plus de mérite dans mon amour, il n’y aura plus de sacrifice, car la vie terrestre est finie et Abraham ne viendra pas apaiser d’une goutte d’eau vive (c’est-à-dire en me faisant don de l’ancienne vie terrestre active) la soif ardente d’amour spirituel dont je suis consumé maintenant, après l’avoir dédaignée dans la vie. Il n’y a plus de vie, et il n’est plus temps ! Bien que maintenant j’eusse donné, avec joie, ma vie pour les autres, ce n’est plus possible, car la vie que l’on pouvait sacrifier à l’amour est passée, et un abîme sépare, maintenant, l’autre vie de mon existence présente. »
F. Dostoïevski, les Frères Karamazov, liv. VI, chap. III (entretien du starets Zossim).

B.-D. D.

 E. Rohde, Psyché (Leipzig, 1890-1894 ; 2 vol. ; 10e éd., Tübingen, 1925 ; trad. fr., Payot, 1952). / A. Dieterich, Nekya (Leipzig, 1893). / R. T. Herford, The Pharisees (Londres, 1924 ; trad. fr. les Pharisiens, Payot, 1928). / A. Cohen, le Talmud (Payot, 1933). / W. K. C. Guthrie, Orpheus and Greek Religion (Londres, 1935 ; 2e éd., 1952 ; trad. fr. Orphée et la religion grecque, Payot, 1956). / P. Lundberg, la Typologie baptismale dans l’ancienne Église (Uppsala, 1942). / F. Cumont, Lux perpetua (Geuthner, 1948). / W. Bieder, Die Vorstellung von dem Höllenabstieg Jesu Christi (Zurich, 1949). / L’Enfer (Éd. du Cerf, 1950). / Y. Congar, J. Daniélou et coll., le Mystère de la mort et sa célébration (Éd. du Cerf, 1951). / Jonas (Éd. de Minuit, 1955). / L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, t. II : Iconographie de la Bible (P. U. F., 1957 ; 2 vol.). / J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme (Desclée, 1958 ; nouv. éd., 1969). / C. Gruber-Magitot, Jésus et les pharisiens (Laffont, 1964).

engagement en littérature (l’)

L’engagement n’est pas une loi morale, c’est une expérience à laquelle nul n’échappe. La pensée existentialiste, qui a largement popularisé le mot, considère que tout homme est « condamné à être libre ». Chacun de ses choix engage sa responsabilité, même quand ce choix est de ne pas agir. L’engagement peut prendre la forme de l’action politique révolutionnaire, mais il peut aussi prendre celle de la complicité tacite. Ne pas s’engager délibérément, c’est être engagé aux côtés du pouvoir établi. Les sociétés autoritaires ont besoin de ceux qui ne s’engagent pas.


On voit donc à quel point il est faux, quand on applique la notion d’engagement au domaine artistique ou littéraire, de ramener le problème à une alternative entre « l’art pour l’art » et « l’art pour quelque chose ». Cette alternative est en fait le résultat d’une équivoque créée et entretenue par les morales qui proclament l’identité de l’être et du bien au lieu de rechercher la création de la valeur dans l’exercice de la liberté comme le fait le militant révolutionnaire. Or, pour l’artiste, cette recherche est essentielle, alors que le moraliste traditionnel lui préfère la pratique de la vertu, qui n’est que l’habitude du Bien. Jean-Paul Sartre a très clairement décrit cette différence d’attitude entre l’homme de bien et l’artiste, dont l’un soumet son activité à l’être et l’autre à la valeur, ce qui, dans le cadre d’une pensée conformiste et autoritaire, conduit à attribuer à la morale le domaine des réalités et à l’art celui des apparences. « Beaucoup plus qu’une conception d’artiste la théorie de l’Art pour l’Art est une revendication de l’homme de bien : à vous les images, à moi la réalité. Cette délimitation nette des deux empires est indispensable au bon fonctionnement d’une société autoritaire. » (J.-P. Sartre.)

À défaut donc, comme faisait Platon, de chasser le poète de la République, on lui assignera le ghetto doré de l’imaginaire, du gratuit, de l’inutile. Historiquement, c’est une telle délimitation qui est, dès les origines, à la base de la conception de l’art dans la société capitaliste. Elle est également présente dans la notion de littérature telle qu’elle s’élabore au début du xixe s. Vidée peu à peu de son emprise sur la réalité au profit des sciences et des techniques d’une part et de la pratique du pouvoir économique et politique de l’autre, la littérature se caractérise de plus en plus par sa gratuité.

Or, c’est précisément à cette époque, et en partie à cause de cela, que l’engagement politique s’impose aux écrivains comme une nécessité inséparable de l’exercice de leur art.

Il s’agit en fait d’un problème de communication, c’est-à-dire de relation entre l’écrivain et le lecteur. L’un et l’autre sont également indispensables à la manifestation du fait littéraire : « L’objet littéraire est une étrange toupie, qui n’existe qu’en mouvement. Pour la faire surgir, il faut un acte concret qui s’appelle la lecture, et elle ne dure qu’autant que cette lecture peut durer. Hors de là, il n’y a que des tracés noirs sur le papier. » (J.-P. Sartre.) Acte solidaire, effort conjugué, l’écriture et la lecture compromettent conjointement l’écrivain et le lecteur. Par cet acte, par cet effort, chacun des deux exerce sa liberté dans une situation historique commune.