Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire colonial italien

Ensemble des pays et des territoires qui étaient colonisés par les Italiens.



Jusqu’à Adoua

Tardivement unifiée, l’Italie eut cependant très vite l’ambition de rivaliser sur le terrain colonial avec les autres puissances occidentales, sans, toutefois, entrer en compétition directe avec aucune d’elles. Le voisinage de son territoire et de la Tunisie lui fit d’abord porter ses ambitions de ce côté, et elle fut très déçue que son délégué au congrès de Berlin en 1878, le comte Corti, en revînt « les mains nettes » suivant son expression, c’est-à-dire vides. L’Angleterre et même Bismarck, président du congrès, avaient en fait donné carte blanche à la France dans la régence. Le statu quo aurait pu cependant durer longtemps si d’indiscrètes et bruyantes manifestations en faveur d’une prétendue italianité de ces « anciennes provinces romaines » n’avaient déterminé le gouvernement français à les faire occuper lui-même en 1881. L’Italie en fut ulcérée, et ce déboire contribua à lui faire signer le traité défensif de triple alliance avec l’Allemagne et l’Autriche en 1882 ; mais elle ne pouvait rien de plus, et ses vues d’expansion se tournèrent dès lors d’un autre côté, la rive occidentale de la mer Rouge.

La société privée de navigation Rubattino avait monté depuis 1870 un dépôt de charbon pour ses navires dans la baie d’Assab, entouré de quelques territoires qu’elle avait achetés à des chefs de tribus établis sur cette côte. En 1882, elle les céda au gouvernement italien, qui en prit pacifiquement possession sans viser à en tirer grand avantage ; mais, à l’automne de 1883, l’explorateur italien Gustavo Bianchi et ses compagnons furent massacrés entre Assab et la position éthiopienne de Maqalié, ce qui donna prétexte à l’Italie de préparer une expédition. Au début de 1885, elle occupa le port, sensiblement plus septentrional, de Massaoua, qui pouvait la mettre en communication avec le Soudan, dont visaient à s’emparer les Anglais. La révolte victorieuse des Derviches fit, toutefois, ajourner la réalisation de ce projet. Les Italiens se tournèrent alors vers le négus d’Abyssinie, Jean, espérant faire affluer vers Massaoua le commerce de l’intérieur. Loin de réussir à gagner son amitié, ils suscitèrent seulement sa défiance, et l’un de ses vassaux, le ras Alula, fort d’une grande supériorité numérique de guerriers indigènes, surprit le 26 janvier 1887, à Dogali, une colonne de 500 Italiens, qui, après avoir combattu huit heures et à court de munitions, furent presque tous massacrés, ainsi que leur chef, le colonel De Cristoforis.

Une guerre devait s’ensuivre au début de 1888, cette fois sous le commandement personnel du négus, qui marcha contre Massaoua avec une grande armée, mais qui, en vue des positions fortifiées des Italiens, n’osa pas livrer bataille, et, l’année suivante, celui-ci mourait d’une blessure reçue en combattant les Derviches. L’événement suscita une rivalité farouche entre les prétendants à sa succession, qu’assura assez rapidement le ras du Choa, Ménélik. Celui-ci se montrait favorable aux ambitions italiennes pour obtenir l’appui de Rome contre ses rivaux. Un explorateur italien, le comte P. Antonelli (1853-1901) — neveu du secrétaire d’État de Pie IX —, avait libre accès auprès de lui, mais ses conseils n’étaient pas toujours écoutés par les généraux aussi ambitieux de succès qu’inexpérimentés qui se succédaient à la tête des troupes d’occupation. Plutôt que de s’entendre avec un souverain relativement éloigné de la nouvelle colonie, baptisée « Érythrée » par Crispi*, alors président du Conseil, en souvenir de l’ancien nom de la mer Rouge, ils préféraient s’entendre avec leurs voisins immédiats de la province du Tigré, « ras » locaux pillards et assassins, auxquels on ne pouvait se fier. Cependant, Asmara et Kéren furent occupés en accord avec Ménélik, au bord du haut plateau éthiopien, et Crispi, encouragé par ces succès, entreprit avec le négus des négociations visant à établir sur l’Abyssinie un véritable protectorat. À cette fin, Antonelli signait avec Ménélik, le 2 mai 1889, le traité d’Uccialli, qui parut au gouvernement italien répondre à ses désirs, au point que Crispi annonça aux grandes puissances la conclusion de ce protectorat. Il y avait malheureusement erreur d’interprétation sur les termes mêmes de l’accord. Ménélik n’en reconnaissait pas l’extension et, prévoyant qu’il lui faudrait en venir à une contestation armée, il renforçait ses milices, gagnait à sa cause les autres féodaux abyssins et leur fournissait les armes que lui procuraient des aventuriers de toutes nationalités.

Trompé sur ces préparatifs et éperonné par Crispi, le général Baratieri (1841-1901), alors commandant d’un faible corps d’occupation d’environ 6 000 hommes, enlevait en 1894 Kassala aux Derviches, en zone d’influence anglaise, à la limite du Soudan égyptien, distant de Massaoua de 400 km, cependant qu’un autre général, Baldassare Orero (1832-1914), poussait sans ordres jusqu’à Adoua, capitale du Tigré. La guerre éclata en novembre 1895. Ménélik avait rassemblé 100 000 hommes. Il emporta d’abord d’assaut la position avancée de l’Amba Alagi, qui comptait 2 450 défenseurs. À la mi-décembre, il investissait à son tour le fort de Maqalié, défendu par 1 400 hommes, qui capitula après six semaines avec les honneurs de la guerre lorsque les Abyssins se furent emparés du puits qui l’alimentait en eau potable.

Ces échecs furent durement ressentis en Italie, où ni Baratieri ni le gouvernement, auquel les crédits étaient mesurés au compte-gouttes, ne les avait laissé prévoir. Ménélik offrit alors à Rome une paix honorable dans les limites exactes du traité d’Uccialli et le respect de l’indépendance éthiopienne, mais Crispi la refusa, espérant encore que les renforts dirigés en hâte vers l’Érythrée permettraient d’obtenir la victoire.

En février 1896, les forces italiennes s’élevaient à 23 000 hommes, dont un petit nombre d’auxiliaires indigènes. La disproportion numérique n’eût pas été, à elle seule, une cause d’infériorité, mais le pays était mal connu des nouveaux arrivants, la population hostile, le ravitaillement difficile à si grande distance de la base d’opérations. Des trois groupes convergents qui devaient se rejoindre devant Adoua, l’un s’égara, un autre, envoyé à son secours, s’écarta lui-même de la bonne route et dut combattre isolément. Des effectifs indigènes désertèrent. Au fort de l’action, Baratieri se trouva séparé de son état-major. Ce fut un désastre complet. Les Italiens eurent environ 5 000 tués (dont 2 généraux et 300 officiers), 2 000 prisonniers (dont un général et 60 officiers), des blessés en très grand nombre et perdirent toute leur artillerie, soit 52 canons.