Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Le haut barrage d’Assouan (Sadd al-‘Ālī)

Le premier barrage de retenue d’Assouan, construit de 1849 à 1902, permettait une mise en réserve de 980 millions de mètres cubes. Exhaussé deux fois (1912 et 1934), il a vu sa capacité de retenue portée successivement à 2,4 milliards, puis à 5,3 milliards de mètres cubes. La mise en réserve, opérée seulement à partir de novembre, lorsque les eaux sont plus claires, évitait un envasement trop rapide du barrage, si bien qu’un fort volume d’eau rejoignait alors la mer en pure perte. C’est pour conserver ces masses perdues que le projet du haut barrage d’Assouan a été réalisé.

Baptisé « la grande pyramide du xxe s. », le Sadd al-‘Ālī est un barrage-poids de 42,7 millions de mètres cubes de matériaux divers (le volume de la pyramide de Kheops est de 2,5 millions de mètres cubes). Grâce à ses 980 m d’épaisseur à la base, à son rideau d étanchéité profond de 200 m pour atteindre le socle cristallin, à ses 40 m d’épaisseur à la crête et à ses 111 m de haut, il peut retenir les 157 milliards de mètres cubes du lac Nasser à son remplissage maximal.

Il se place ainsi à la quatrième place dans le monde par sa capacité de retenue, derrière Owen Falls (Ouganda, 204 milliards de mètres cubes), Bratsk (Sibérie, 170) et Kariba (Rhodésie, 160).

Le haut barrage permet d’irriguer près d’un demi-million d’hectares gagnés sur le désert entre Minîèh et Sohag et de faire passer à l’irrigation permanente, dans le Fayoum, une superficie presque égale.

L’étendue des terres cultivables, qui était de 2,42 millions d’hectares en 1960, passe grâce au haut barrage à environ 3,5 millions d’hectares, compte non tenu des bonifications encore en cours.

Les avantages incontestables du gigantisme en matière d’irrigation et de production d’énergie s’accompagnent de certaines conséquences plus ou moins heureuses. Déjà, la construction du premier barrage d’Assouan avait nécessité des déplacements de population ; celle du Sadd al-‘Ālī a entraîné l’évacuation vers de nouveaux villages de 80 000 Nubiens dont les terroirs ont disparu sous les eaux du lac Nasser.

D’autre part, il est encore difficile de prévoir les modifications climatiques qu’entraînera la création sous le tropique d’un lac de 200 km de longueur sur plusieurs kilomètres de largeur. Il est possible que le dépôt des limons en arrière de la retenue prive les eaux d’irrigation d’une grande partie de leur pouvoir fertilisant. Déjà, le fractionnement du Nil par les différents barrages d’élévation a fortement contribué à des modifications dans la distribution de la faune aquatique. La construction du haut barrage a entraîné la disparition du poisson en aval. Il a fallu repeupler le fleuve par des entreprises de pisciculture.


L’urbanisation

Les progrès de l’urbanisation ont été rapides durant les dernières années. En 1947, 31 p. 100 de la population vivaient dans les villes ; en 1960, 38 p. 100 ; en 1966, 40,1 p. 100. Un Égyptien sur quatre habite au Caire ou à Alexandrie, un sur six vit au Caire. Les deux agglomérations regroupent 66 p. 100 de la population urbaine, avec plus de 7 millions d’habitants. La notion de ville adoptée en Égypte n’englobe que les agglomérations de plus de 20 000 habitants, mais même avec cette population certaines villes ne sont que de gros villages.

J. C.

➙ Alexandrie / Caire (Le) / Suez (canal de).

 P. Birot et J. Dresch, la Méditerranée et le Moyen-Orient, t. II (P. U. F., 1956). / J. Besançon, l’Homme et le Nil (Gallimard, 1957). / S. Lacouture, Égypte (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1962 ; nouv. éd., 1967). / H. Riad, l’Égypte nassérienne (Éd. de Minuit, 1964).

Ehrenbourg (Ilia)

Romancier et publiciste russe (Kiev 1891 - Moscou 1967).


Né d’une famille juive aisée, Ilia Grigorievitch Ehrenbourg vit depuis 1896 à Moscou, où son père dirige une brasserie. Emprisonné à seize ans pour son activité clandestine au sein du parti social-démocrate (où il sympathise avec la fraction bolchevique), il doit interrompre ses études et s’exiler à Paris (1908). Une crise religieuse l’éloigné des cercles d’émigrés politiques, où il a connu Lénine, et le rapproche momentanément du catholicisme, qui marque de son empreinte ses premiers vers (1910-1913), influencés par Francis Jammes et Péguy. Il fréquente Montparnasse et se lie aux principaux représentants de l’école de Paris, dont la peinture exprime pour lui le sentiment aigu du présent historique, qui lui inspire en 1916 le recueil Stikhi o kanounakh (Vers sur les veilles).

Le poème Molitva o Rossii (Prière pour la Russie, 1918) exprime une première réaction, hostile, à la révolution, dans laquelle il voit d’abord un prolongement de la folie meurtrière dont il a été témoin en 1914-1917 comme correspondant de guerre d’un journal russe sur le front français. Son séjour en Russie pendant les années de la guerre civile (1917-1921) lui inspire une sympathie admirative, mais empreinte de scepticisme, à l’égard des efforts de Lénine et des bolcheviks pour édifier un monde nouveau sur le chaos révolutionnaire. Ces sentiments s’expriment dans son premier roman, Neobytchaïnyïe pokhojdenia Khoulio Khourenito (les Aventures extraordinaires de Julio Jurenito, 1922), fresque satirique de l’Europe de l’après-guerre où rien n’est épargné par l’ironie du « grand provocateur » Julio Jurenito, pour qui l’épanouissement de l’homme passe par la subversion totale de la civilisation présente.

Correspondant à Paris de la presse soviétique de 1923 à 1941, il parcourt l’Europe et la dépeint en une série de pamphlets passionnés illustrant la toute-puissance des grandes entreprises capitalistes et la corruption des institutions politiques de l’Occident bourgeois. Son œuvre romanesque est aussi d’un journaliste à l’affût de l’actualité et d’un pamphlétaire plus soucieux d’illustrer des thèses que de créer des personnages vivants. Le sentiment d’un déclin irrémédiable de l’Occident lui inspire le roman d’anticipation satirique Trest D. E., ili Istoria guibeli Ievropy (le Trust D. E. ou la Fin de l’Europe, 1923) ainsi que les romans Leto 1925 (l’Été 1925, 1926) et Moskva slezam ne verit (Moscou ne croit pas aux larmes, 1932). Mais la sympathie que lui inspire la révolution soviétique reste, jusque vers 1930, mêlée de réticences : s’il peint l’abnégation héroïque des révolutionnaires (Lioubov Janny Nëi [l’Amour de Jeanne Ney], 1924) et leur idéalisme ascétique (Jizn i guibel Nikolaïa Kourbova [la Vie et la mort de Nikolaï Kourbov], 1923), il leur oppose la complexité des sentiments humains (V Prototchnom pereoulke [Ruelle Prototchny], 1927) et la puissance des instincts égoïstes auxquels la N. E. P. a donné libre cours (Rvatch [Rapace], 1925). Son pessimisme s’exprime surtout dans Bournaïa jizn Lazika Rotchvanetsa (la Vie tumultueuse de Lazik Rotschwanz, 1928), histoire d’un boutiquier juif persécuté par le destin, qui ne trouve sa place ni au pays du socialisme ni en Palestine parmi ses coreligionnaires.