Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

discours (parties du) (suite)

La recherche des « principes et des raisons » de la diversité des usages linguistiques se poursuit pendant plus d’un siècle et demi, dans la voie ouverte par Port-Royal. Si l’on reconnaît la nécessité des grammaires particulières édictant les règles propres à chacune des langues étudiées, on déclare comme fondamentale l’élaboration de la grammaire générale — ou philosophique — qui permet d’expliquer les règles particulières en les dérivant de principes généraux et universels. Dans l’ensemble, au xviiie s., l’étude des parties du discours reste liée aux définitions traditionnelles selon la variabilité ou l’invariabilité des formes (théorie des accidents) et selon les critères de sens.


La remise en question des parties du discours

Au cours du xixe s., l’intérêt pour les grammaires générales baisse progressivement pour faire place à l’étude du développement historique des langues. La théorie de l’évolution et des changements linguistiques n’est guère compatible avec les catégories fixes et immuables proposées par les grammaires générales. Certes, les « étiquettes » — nom, verbe, préposition, etc. — continuent à être employées, mais la théorie universaliste des parties du discours s’effondre lentement devant les dépouillements de plus en plus précis et systématiques de langues « non indoeuropéennes », qui ne peuvent être décrites à partir de ces catégories. Les grammaires scolaires elles-mêmes, qui sont héritières de cette tradition, si elles utilisent — jusqu’au xxe s. — les définitions des parties du discours élaborées dans le cadre des grammaires générales, taisent les sources logiques, universalistes et spéculatives dont elles sont issues.

Au cours du premier tiers du xxe s., période de développement du structuralisme* en linguistique, la question des parties du discours est peu abordée dans l’ensemble. L’intérêt des linguistes s’oriente vers les discussions théoriques et méthodologiques, où les distinctions saussuriennes prennent souvent la première place. Celles-ci aboutissent à une redéfinition des unités linguistiques fondamentales, où la notion de « mot » perd l’importance qu’elle avait dans les théories traditionnelles au profit des notions de « phonème » et de « morphème ». Par ailleurs, l’extension de la description des langues non indo-européennes (asiatiques, africaines, amérindiennes particulièrement) confirme le scepticisme déjà présent au xixe s. quant à l’hypothèse de l’universalité des parties du discours. Les recherches d’Edward Sapir*, par exemple, préoccupé d’établir une classification typologique des langues, font apparaître l’impossibilité d’organiser cette classification à partir des cadres grammaticaux issus des langues indo-européennes. Ce scepticisme se retrouve également, dans une perspective différente, dans les grammaires françaises publiées à l’époque, telles celles de Ferdinand Brunot (la Pensée et la langue, 1922) ou de Jacques Damourette et Édouard Pichon (Essai de grammaire de la langue française, 1927-1950 ; d’inspiration psychologique et résolument antilogiciste). Ce n’est que vers les années 1940 qu’apparaissent des études générales à propos de la grammaire et de sa forme dans une théorie structuraliste, et c’est par ce biais que se déterminent des positions nouvelles au sujet des parties du discours. Quelles que soient les divergences propres aux différentes écoles à l’intérieur du structuralisme, qui aboutissent à des types de grammaires différentes (essentiellement des grammaires sémantiques ou des grammaires formelles), les critiques formulées à l’encontre des classifications traditionnelles sont communément partagées.

• Confusion des critères utilisés.
Exemple :
a) sémantique : le verbe exprime une action ou un état ; le nom désigne une personne ou une chose ; l’adjectif désigne une qualité ;
b) morphologique : les noms, les pronoms, les adjectifs sont déclinables ; les verbes sont conjugables ; les adverbes, les prépositions, les conjonctions sont invariables ;
c) fonctionnel : le nom est constituant du sujet ; la préposition est placée devant un groupe de mots et indique certaines relations.

• Circularité des définitions sémantiques et non-adaptation de celles-ci à l’ensemble des termes qu’elles sont censées recouvrir. Ainsi, le nom est défini comme indiquant une personne, une chose ou un lieu. Mais si l’on veut classer des termes tels que rougeur, fraternité ou beauté, on doit accepter qu’il s’agit de « choses » — pour la seule raison que ce sont des noms. Et si l’on considère rougeur, on peut s’interroger sur la validité de la distinction entre nom et adjectif (qualité).

• Indépendance des classes établies entre elles. On considère les mots comme des entités autonomes susceptibles de se ranger automatiquement dans l’une ou l’autre des classes proposées sans se préoccuper des relations existant entre les classes.

Les critiques sont révélatrices des choix qui vont marquer l’analyse des parties du discours proposées par les structuralistes dans le cadre d’une conception nouvelle du langage, articulée — implicitement ou explicitement — sur les principes de F. de Saussure. Convaincus que chaque langue a sa propre structure, irréductible à toute autre, tant au niveau de l’expression que du contenu, les structuralistes ont rarement cherché à définir des catégories grammaticales universellement valables.

On peut observer deux types d’approche qui correspondent à la distinction entre plan de l’expression et plan du contenu. Dans le second cas, les classes sont explicitement définies à partir des concepts sémantiques et excluent tout autre critère. Viggo Brøndal est un des représentants de cette tendance, dont on peut retrouver encore actuellement l’influence sur certaines grammaires sémantiques. Dans ses Parties du discours (1928), il propose de s’appuyer sur quatre éléments considérés comme fondamentaux et définis en logique : substance, qualité, quantité, relation. Chacun de ces éléments a des rapports avec les autres (description systématique), et les « parties du discours » sont hiérarchisées en plans, selon qu’elles peuvent être définies au moyen d’un ou de plusieurs des éléments de base :
1o la classe abstraite est définie par un élément de base correspondant au nom propre (substance), au nom de nombre (quantité), à l’adverbe (qualité), à la préposition (relation) ;
2o la classe concrète (conjonction, verbe, pronom possessif, nom) est définie par la participation de deux éléments de base ;
3o la classe complexe (les noms et les verbes dérivés) est définie par trois éléments de base ;
4o la classe indifférenciée est la classe des interjections. Il faut remarquer que V. Brøndal est un des seuls linguistes à proposer un système de description des parties du discours supposé valable universellement. Mais les travaux des structuralistes concernent surtout la description des unités au niveau de l’expression, attitude qui rompt plus nettement avec les théories traditionnelles. Le distributionalisme américain représente sans doute la tentative la plus achevée d’une description des éléments linguistiques en termes purement formels par leurs rapports mutuels au sein de l’énoncé. Comme tout autre élément linguistique, les parties du discours propres à une langue donnée sont définies par leur position dans un ensemble de contextes. Le fait qu’un terme appartient à telle ou telle classe relève uniquement de sa distribution dans la chaîne parlée ; soit un énoncé de la forme A + B + C : tout membre de la classe A est défini par son occurrence dans le contexte – B + C, tout membre de la classe B est défini par son occurrence dans le contexte A – C, etc. Ainsi, dans l’énoncé la lance perce sa poitrine, l’élément lance occupe une certaine position — la [ — ] perce sa poitrine —, et tous les éléments susceptibles d’occuper cette même position appartiendront à la même classe. Ce seul contexte ne suffit pas, bien sûr, à identifier l’ensemble de la distribution de lance. On devra donc rechercher : a) les énoncés contenant d’autres occurrences de lance ; b) les éléments susceptibles des mêmes distributions que lance dans les mêmes contextes. On voit ainsi qu’un élément donné peut appartenir à différentes classes : par exemple, dans l’énoncé le garçon lance la balle, on peut se demander si lance appartient dans les deux énoncés à la même classe. Mais l’élément lame dans la lame perce sa poitrine ne peut apparaître dans un énoncé tel que *le garçon lame la balle. On peut définir ainsi les classes par leurs rapports mutuels :
— lance, lame appartiennent à la classe des substantifs ;
— lance, perce appartiennent à la classe des verbes.