Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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discours (parties du) (suite)

Les Romains adoptent les principes de classification des parties du discours établis par les Grecs en les appliquant à la langue latine. Des grammairiens tels que Varron (116-27 av. J.-C.), Donat (ive s. apr. J.-C.) et Priscien (ve-vie s. apr. J.-C.) transmettront au Moyen Âge des grammaires qui serviront de modèle pendant des siècles pour les diverses langues modernes, sans modifier notablement les catégories grecques. Celles-ci formeront une base à la réflexion scolastique sur le langage.

Plus que la classification elle-même, qui n’est d’ailleurs pas remise en cause, c’est plutôt la conception aristotélicienne de l’univers, dans laquelle elle s’inscrit, qui influencera la pensée médiévale et, bien au-delà, la tradition des grammaires générales. Les scolastiques cherchent à déterminer les « causes », supposées universelles et constantes, qui sont sous-jacentes à cette classification en mettant en correspondance les modes d’être (du réel), les modes de signifier (des mots) et les modes de comprendre (de l’intellect). La langue est conçue avant tout comme un instrument de connaissance qui permet de découvrir la « réalité cachée » du monde. Les mots n’expriment pas directement l’« être » des choses, mais leur « manière d’être », en tant qu’elles sont conçues par l’esprit humain. On pourrait dire, par exemple, que les termes grand, grandeur, grandir « signifient » la même chose (qu’il s’agit donc du même mot), mais selon des modalités diverses, en tant que qualité, substance, action, qui correspondent aux catégories logiques définies par Aristote. Ces différentes « manières d’être » sont exprimées dans la langue au moyen de catégories linguistiques différentes, sources des parties du discours. Outre la classification des mots en parties du discours à partir de la distinction aristotélicienne de la substance et des accidents, qui s’appuie à la fois sur des critères sémantiques (manière de signifier) et des critères formels (modifications flexionnelles), les grammairiens séparent généralement les parties du discours en deux grandes classes : les parties majeures et les parties mineures. Les premières comprennent les éléments qui ont, à proprement parler, un « sens » (renvoyant à des choses du réel) et constituent la matière du discours : noms (substantifs et adjectifs), verbes et adverbes. Les secondes, telles la préposition ou la conjonction, n’ont pas un sens vraiment défini et ne font que contribuer à la mise en forme du discours, en établissant diverses relations entre les mots ou les groupes de mots (critères fonctionnels). La conception médiévale du langage, élaborée à partir du latin scolastique, a pour effet de confirmer les classes établies antérieurement, de renforcer encore l’intérêt porté à la signification des mots, au détriment de leur forme (matérielle), et de dégager explicitement une théorie universaliste des parties du discours : toutes les langues doivent manifester les mêmes catégories, puisque celles-ci sont en accord avec les catégories logiques, qui sont elles-mêmes universelles et immuables. Les différences entre les langues, dues en particulier aux différences de réalisation sonore des mots, sont des différences d’ordre accidentel, mais non substantiel.

C’est au xvie s. qu’apparaissent les premières descriptions du français, en même temps que s’accroissent les connaissances concernant d’autres langues que le latin, tant modernes qu’anciennes. Les divergences constatées auraient pu remettre en cause totalement les conceptions médiévales, et, de fait, les études récentes portant sur les grammairiens de la Renaissance insistent sur l’aspect « préstructural » et volontairement « a-philosophique » de certaines grammaires. Ramus (Pierre de la Ramée) par exemple, dans sa Grammaire publiée en 1562, utilise des critères strictement formels pour la définition des parties du discours : « le nom est un mot de nombre avec genre », « le verbe est un mot de nombre avec temps et personne », « l’adverbe est un mot sans nombre adjoint à un autre mot ». Néanmoins, si les spéculations scolastiques tombent en désuétude, les grammaires latines (Donat, Priscien) restent et resteront le modèle prestigieux de toute analyse grammaticale. On cherche à réduire le plus possible le français aux grilles formelles héritées du latin : même nombre de parties du discours, mêmes déclinaisons en dépit de leur disparition presque totale ; en effet, lorsque les formes du français sont trop éloignées des formes latines, on fait appel aux critères sémantiques pour poser l’équivalence entre les deux langues et conserver ainsi les mêmes catégories (c’est par ce biais du sens qu’on déclinera le nom en français jusqu’au xviiie s.).

Les préoccupations théoriques relatives aux rapports entre langage et pensée réapparaissent au cours du xviie s. La Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, publiée en 1660, est le témoignage le plus achevé de ces nouvelles réflexions. Elle réaffirme la conception selon laquelle les langues diffèrent par accident, mais non en substance, et renforce du même coup l’idée de l’universalité des parties du discours. Celles-ci sont définies à l’intérieur d’une théorie de la proposition qui est un point de départ aussi bien pour la logique que pour la grammaire de Port-Royal. Trois éléments sont considérés comme nécessaires à toute proposition : « L’un appelé sujet, qui est ce dont on affirme, [...] l’autre appelé attribut, qui est ce qu’on affirme, [...] et, de plus, la liaison entre ces deux termes, qui est proprement l’action de notre esprit qui affirme l’attribut du sujet. » C’est à partir de ces considérations qu’Antoine Arnauld et Claude Lancelot répartissent les catégories traditionnelles en deux classes, qui sont distinguées selon que leurs membres signifient des « objets de la pensée » (concepts) et sont alors des constituants des deux termes sujet et attribut ou bien qu’ils signifient des « actions ou manières de la pensée » (opérations de l’esprit) et donnent alors une forme à la proposition, en affirmant ou en niant par exemple l’attribut du sujet. Le nom, l’article, le pronom, le participe, la préposition et l’adverbe appartiennent à la première classe. Le verbe, la conjonction et l’interjection appartiennent à la seconde. Cette répartition, commandée par le parallélisme posé entre la logique des concepts et des jugements et la grammaire, est une des nouveautés introduites par les grammairiens de Port-Royal dans l’analyse des parties du discours. En revanche, les définitions proposées pour chacune d’entre elles relèvent le plus souvent de critères traditionnels, dont Arnauld et Lancelot retiennent systématiquement les aspects sémantiques.